Responsabilité décennale et désordres affectant des équipements dissociables de l’ouvrage 

CAA Nancy, 27-09-2022, 19NC002551

Par un arrêt du 27 septembre 2022, la Cour administrative d’appel de Nancy rappelle les règles relatives à l’engagement de la responsabilité décennale des constructeurs en matière de désordres touchant à un élément d’équipement dissociable de l’ouvrage.

En application des principes régissant la garantie décennale qui s’inspirent des articles 1792 à 1792-6 et 2270 du code civil, la responsabilité décennale d’un constructeur peut être engagée en raison des désordres qui affectent un élément d’équipement d’un ouvrage, dans deux cas de figure.

D’une part, si l’élément d’équipement est dissociable de l’ouvrage, la responsabilité du constructeur sera engagée au titre de la garantie s’attachant à l’ouvrage lui-même, si les désordres affectent la solidité de l’ouvrage dans son ensemble, ou le rendent impropre à sa destination.

A titre d’illustration, le Conseil d’État a pu juger que les désordres dus à un court-circuit d’origine électrique provoqué par un défaut d’isolation imputable au constructeur, rendent les installations de chauffage géothermique impropre à leur destination, et sont de nature à engager sa responsabilité décennale (CE, 8 déc. 1999, Sté Borg Warner, n° 138651).

A l’inverse, un désordre affectant le silo d’alimentation de la chaudière d’une salle polyvalente n’engage pas la responsabilité décennale du constructeur puisque l’ouvrage peut être utilisé dans des conditions normales (CE, 9 nov. 2018, Cne de Sant-Germain-Le-Châtelet, n°412916).

D’autre part, si l’élément d’équipement n’est pas dissociable de l’ouvrage, sa responsabilité sera engagée au titre de l’article 1792-2 du code civil dès lors que l’élément fait « indissociablement corps avec l'un des ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert », c’est-à-dire « lorsque sa dépose, son démontage ou son remplacement ne peut s'effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de cet ouvrage ».

En l’espèce, postérieurement à la construction d’un centre nautique, une communauté de commune a constaté qu’étaient apparues des infiltrations d’eau et a cherché à engager la responsabilité du groupement conjoint de maîtrise d’œuvre, ainsi que celle des entreprises qui se sont vu confier la réalisation des travaux. Par un jugement du 6 juin 2019, le Tribunal administratif de Strasbourg a condamné la seule société Octant Architecture, membre du groupement conjoint de maîtrise d’œuvre et en charge d’une mission de direction de l’exécution des travaux, à verser une somme de 33 803,59 € TTC au maître d’ouvrage, au titre des travaux de reprises du local technique. 

La Cour administrative d’appel confirme le jugement de première instance. Pour ce faire, elle s’est appliquée à rechercher si les désordres affectant des éléments d’équipement du centre nautique pouvaient permettre d’engager de la responsabilité décennale des constructeurs. 

Ainsi, elle juge que les désordres affectant le local technique du centre nautique, constitués par des insuffisances des raccords et la présence de joints de canalisation non étanches, sont susceptibles de provoquer des dégâts pouvant affecter le système de traitement des eaux, ainsi que le tableau électrique. De ce fait, ils font obstacle au fonctionnement de l’ouvrage dans son ensemble, et le rendent impropre à sa destination. À ce titre, ces désordres revêtent un caractère décennal permettant d’engager la responsabilité du constructeur. 

A contrario, n’affectent pas la solidité de l’ouvrage et ne sont pas de nature à rendre l’ouvrage lui-même impropre à sa destination, les désordres consistant en : 
- Des infiltrations et des taches au niveau du siphon affectant l’atelier technique ;
- Des infiltrations dans les faux plafonds ainsi que des condensats sur les vitrages hauts et l'effritement de la boîte en bois recouvrant des canalisations, gorgées d'humidité, dans le hall d’accueil ;
- Des infiltrations d'eau ainsi que des oxydations autour de la baie vitrée et des défauts de revêtement peinture affectant le local des maîtres-nageurs ;
- Des défauts affectant le double vitrage du hall du centre nautique ;
- Un affaissement du faux-plafond, des déchirures autour des luminaires dans l'espace bien-être, et des taches d'infiltration dans le local associatif et le vestiaire homme ;

Par conséquent, ils ne revêtent pas un caractère décennal. 

Ce qu'il faut retenir

1.
La responsabilité décennale des constructeurs peut être engagée lorsque les désordres touchent des éléments d’équipement dissociables de l’ouvrage ; 
2.
Ces désordres doivent affecter la solidité et de l’ouvrage dans son ensemble ou le rendre impropre à sa destination ; 
3.
En revanche, la responsabilité décennale des constructeurs ne peut pas être engagée lorsque les désordres sont dus à des inexécutions contractuelles, mais qu’ils n’affectent pas la solidité de l’ouvrage, ou qu’ils ne le rendent pas impropre à sa destination ; dans ce cas, seule la responsabilité contractuelle ou la garantie de parfait achèvement/bon fonctionnement peut être recherchée. 

À propos de l'auteur

Antoine Alonso Garcia

Inscrit au Barreau de Paris depuis 1999, j'ai créé ma propre structure en 2007.

J’interviens essentiellement dans la conduite de projets publics, tant pour les maîtres d’ouvrage publics (gestion de la passation et de l’exécution des contrats) que pour les entreprises (réponse à appels d’offres, gestion des litiges d’exécution). Cette pratique intensive des projets publics m’a naturellement amené à développer une compétence en matière en droit de la construction (publique et privée) et en droit des assurances.

Maître de conférences pour le cours de droit de l’Ecole des Ponts et Chaussées, j'anime aussi de nombreuses formations en droit de la commande publique et en droit de la responsabilité administrative.

J'ai obtenu en 2020 la mention de spécialisation en droit public

J'ai créé en 2023 le Cabinet CORAL Avocats.


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