Montant de l’indemnité de résiliation unilatérale si le prestataire se voit confier un nouveau marché 

CAA Douai , 09-05-2023, n°22DA00385 , Société CM-CIC Leasing solutions

Par un arrêt du 09 mai 2023, la cour administrative d’appel de Douai vient apporter des précisions sur les règles d’indemnisation du cocontractant applicables en cas de résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général. Ainsi, les circonstances de l’espèce peuvent être prises en compte par le juge, au moment où il statut, afin d’apprécier l’existence d’un préjudice né de la résiliation d’un contrat et en déterminer le montant. Plus précisément, et il s’agit du principal intérêt de cet arrêt, pour apprécier le préjudice subi par le prestataire « victime » d’une mesure de résiliation pour motif d’intérêt général, le juge doit prendre en compte le fait que le prestataire se soit vu confier par l’acheteur de nouvelles prestations dans le cadre d’un nouveau marché ou en qualité de sous-traitant.

En l’espèce, la commune de Porcheux louait des photocopieurs à la société GE Capital Équipements France, devenue CM-CIC Leasing Solutions. À la suite du dysfonctionnement du service, en raison de la panne constante du matériel, la commune a informé la société de sa décision de résilier unilatéralement le marché pour motif d’intérêt général.

La société CM-CIC Leasing Solutions a, alors, saisi le tribunal administratif d’Amiens d’un recours indemnitaire afin d’obtenir l’indemnisation du préjudice financier qu’elle estime avoir subi du fait de la résiliation pour motif d’intérêt général, et la restitution du matériel. Rejetée en premier instance, cette requête est portée devant la cour administrative d’appel de Douai.

La Cour administrative d’Appel de Douai rappelle, tout d’abord, qu’en cas de résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général, le cocontractant de l’administration a droit à une indemnisation intégrale du préjudice en résultant, « tant de la perte subie, c’est-à-dire des frais exposés sans contrepartie, que du manque à gagner ».

Bien évidemment, pour que cette indemnisation soit juste et équitable, elle est soumise à des conditions strictes.

Dans son raisonnement, la Cour apporte des éléments quant au pouvoir d’appréciation du juge lorsqu’il est saisi d’une demande indemnitaire du manque à gagner résultant de la résiliation unilatérale d’un marché public pour motif d’intérêt général.

Pour apprécier l’existence d’un préjudice et en déterminer le montant, le juge doit, dans un premier temps, « tenir compte du bénéfice que le requérant a tiré de la réalisation, en qualité de titulaire ou de sous-traitant d’un nouveau marché passé par le pouvoir adjudicateur, de tout ou partie des prestations qui lui avaient été confiées par le marché résilié ».

Ainsi, « Dans l'hypothèse où, à la date à laquelle le juge statue sur le litige relatif à la résiliation, il résulte de l'ensemble des circonstances particulières de l'espèce que, alors même qu'il n'a pas exécuté de telles prestations dans les conditions mentionnées ci-dessus ou que leur exécution n'est pas en cours, le titulaire du marché résilié est susceptible d'être chargé, dans un délai raisonnable, de tout ou partie de ces prestations à l'occasion d'un nouveau marché, il appartient au juge de surseoir à statuer sur l'existence et l'évaluation du préjudice né de la résiliation ».

Concrètement, la naissance de nouveaux rapports contractuels entre le titulaire du marché résilié et le pouvoir adjudicateur, de tout ou partie des prestations confiées initialement dans le marché résilié, au moment où le juge statut, exerce une influence notable sur l’existence et l’évaluation du préjudice né de la résiliation.

Dans un second temps, le juge doit vérifier l’existence d’une faute éventuelle du cocontractant « qui aurait concouru, par son attitude, à la survenance du préjudice dont il demande réparation ». 

Le juge opère donc un raisonnement en deux temps pour déterminer l’éventuel manque à gagner subi par le prestataire « victime » d’une résiliation pour motif d’intérêt général : 

         - Il examine, au jour où il statue, si le prestataire ne s’est pas vu confier la réalisation des prestations    
            résiliées par l’acheteur ; 
         - Il vérifie si le prestataire n’a pas commis une imprudence qui a accentué le manque à gagner qu’il a subi. 

En l’espèce, la société requérante soutenait qu’elle n’avait pas la possibilité de restituer le matériel auprès de l’acheteur puisqu’aucune disposition contractuelle n’en prévoyait la possibilité. Or, tel n’est pas le cas puisque l’article 11.2 du contrat relatif aux modalités de restitution du matériel en cas de résiliation prévoyait que le bailleur pouvait enlever le matériel en tous lieux où il se trouvait si le locataire ne restituait pas le matériel. De la date de résiliation du marché à la date de restitution du matériel, soit une période de 5 ans, la société n’a jamais réagi pour récupérer son matériel alors que celui-ci était à sa disposition. Ainsi, cette inertie a fait diminuer la « valeur marchande » du matériel et a augmenté le montant du préjudice financier subi par le prestataire. 

La Cour considère donc que la société requérante a contribué à la réalisation du préjudice dont elle demande l’indemnisation. Sa demande d’indemnisation est donc également rejetée par la Cour. 

Ce qu'il faut retenir

1.
 Le prestataire « victime » d’une résiliation pour motif d’intérêt général voit son indemnité diminuée du montant des prestations que l’acheteur lui confie par le biais d’un nouveau marché ;
2.
Le juge prend en compte l’imprudence du prestataire pour diminuer ou rejeter la demande indemnitaire du prestataire résilié. 

À propos de l'auteur

Antoine Alonso Garcia

Inscrit au Barreau de Paris depuis 1999, j'ai créé ma propre structure en 2007.

J’interviens essentiellement dans la conduite de projets publics, tant pour les maîtres d’ouvrage publics (gestion de la passation et de l’exécution des contrats) que pour les entreprises (réponse à appels d’offres, gestion des litiges d’exécution). Cette pratique intensive des projets publics m’a naturellement amené à développer une compétence en matière en droit de la construction (publique et privée) et en droit des assurances.

Maître de conférences pour le cours de droit de l’Ecole des Ponts et Chaussées, j'anime aussi de nombreuses formations en droit de la commande publique et en droit de la responsabilité administrative.

J'ai obtenu en 2020 la mention de spécialisation en droit public

J'ai créé en 2023 le Cabinet CORAL Avocats.


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