Un différend doit naitre entre le titulaire d’un marché de PI et l’acheteur avant tout dépôt d’un mémoire en réclamation
CAA Bordeaux, 06-06-2023, n°21BX02605
En l’espèce, une opération de réhabilitation et d’extension de l’immeuble « Croix du Palais » à Bordeaux a été lancée, en 2010, par le département de la Gironde. Les sociétés Groupe Loisier, mandataire commun, Poly Rythmic Architecture, Yac Ingénierie, Cube Ingénieurs, Le Sommier Environnement et Monsieur AB ont été désignées comme groupement de maitrise d’œuvre de l’opération.
Après un désaccord entre les parties, la société Groupe Loisier a saisi le CCIRA de Bordeaux. Celui-ci a considéré que les réclamations du groupement étaient partiellement fondées et proposa le versement d’un supplément de rémunération au titre des prestations supplémentaires et de l’allongement de la durée du chantier.
Le département n’ayant pas donné suite à l’avis du CCIRA, le groupement a saisi le tribunal administratif de Bordeaux d’une demande tendant à la condamnation de la collectivité à leur verser la somme de 651 177,38 euros au titre des travaux supplémentaires et de l’allongement des délais d’exécution du marché. Après le rejet de leur demande, les requérants ont interjeté appel devant la cour administrative d’appel de Bordeaux.
En vertu de l’article 40.1 du CCAG-PI, approuvé par le décret du 26 décembre 1978, tout différend entre le titulaire et le responsable du marché doit faire l’objet d’un mémoire en réclamation, rédigé et remis par le titulaire au responsable du marché ; et ce « préalablement à toute instance contentieuse ».
Il est d’ailleurs de droit constant que le mémoire en réclamation doit être regardé comme tel dès qu’il « comporte l’énoncé d’un différend et expose de façon précise et détaillée les chefs de la contestation en indiquant, d'une part, les montants des sommes dont le paiement est demandé et, d'autre part, les motifs de ces demandes, notamment les bases de calcul des sommes réclamées » (CE, 26 avril 2018, n°407898).
C’est donc sur ce fondement que la cour a vérifié l’existence, ou non, d’une réclamation préalable.
En l’espèce, après la réception de l’ouvrage en novembre 2018, le maitre de l’ouvrage a décidé, par un courrier du 8 novembre 2018, d’appliquer une réfaction. Le maître d’ouvrage estimait, en effet, que le groupement de maîtrise d’œuvre n’avait pas correctement exécuté ses missions contractuelles. Cette décision de réfaction était, sans surprise, critiquée par le maître d’œuvre qui estimait, de plus, pouvoir réclamer une rémunération complémentaire.
Or, ce courrier du 8 novembre 2018 du maître d’ouvrage n’abordait pas la question du versement à la maîtrise d’œuvre d’une rémunération supplémentaire pour l’accomplissement de prestations supplémentaires et pour l’allongement de la durée de chantier. La Cour en arrive à la conclusion que ce courrier en date du 8 novembre 2018 qui ne portait ni sur le paiement de prestations supplémentaires, ni sur l'indemnisation du maître d’œuvre au titre de l'allongement de la durée du chantier, ne peut être regardé comme ayant fait naître un différend entre les parties au contrat portant sur ces points.
En deuxième lieu, le maître d’œuvre soutenait avoir exprimé, dans un courrier du 19 décembre 2018, son désaccord sur la réfaction que le maître de l'ouvrage envisageait d'appliquer au montant de son projet de décompte final. Toutefois, la Cour estime qu’il ne ressort ni de ce courrier ni d'aucun élément que le maître de l'ouvrage aurait, à cette date, pris position sur la question de l'indemnisation du groupement de maîtrise d’œuvre sur la question des prestations supplémentaires et de l'allongement de la durée du chantier.
Dès lors, pour la Cour, ces deux courriers ne caractérisent pas l’existence d’un « différend » entre les parties sur la question de la rémunération complémentaire du maître d’œuvre. La maîtrise d’œuvre ne pouvait donc pas déposer sa réclamation le 22 décembre 2018 tendant à obtenir une rémunération complémentaire puisqu’un « différend » sur cette question n’était pas né.
Les articles 43 et 46 du CCAG-PI (de 2021) et du CCAG-FCS (2021) définissent, désormais, la notion de « différend ». L’apparition du « différend » résulte, ainsi, soit d’une prise de position écrite, explicite et non équivoque émanant de l’acheteur et faisant apparaître le désaccord, soit du silence gardé par l’acheteur à une mise d’une mise en demeure adressée par le titulaire, soit de l’absence de notification du décompte de résiliation.
Ce qu'il faut retenir