Les décisions de justice s’intéressant aux modalités de jugement par les acheteurs du critère « délai d’exécution » sont rares. Cet arrêt de la cour administrative de Marseille est, à ce titre, intéressant.
Dans ce dossier, le département des Bouches-du-Rhône a engagé une procédure d'appel d'offres ouvert en vue de la passation d'un accord-cadre portant sur l'impression et la livraison du magazine d'information départemental. La société Chirripo, arrivée en deuxième position, a réclamé au département l’indemnisation de son manque à gagner (estimé à 95.206 euros) résultant, selon elle de son éviction irrégulière du marché. Le tribunal administratif de Marseille ayant rejeté sa demande, elle a donc saisi la cour administrative d’appel de Marseille de sa demande.
Les débats ont tourné essentiellement sur la méthode de notation employée par le département pour juger du critère des délais d’exécution, qui pour la société requérante, aboutissait à déprécier son offre, pourtant selon elle la plus avantageuse.
La méthode de notation du critère des délais, qui était précisé dans le règlement de la consultation, consistait dans un premier temps, à attribuer deux notes sur dix, d'une part, au délai de transmission du bon à tirer (BAT), et, d'autre part, au délai d'impression, de façonnage et de livraison. La note ainsi attribuée au titre des délais était automatiquement de 0 sur 10 dans le cas où le délai correspondait au délai maximal imposé par le dossier de la consultation, soit quatre jours pour la transmission du BAT et douze jours pour l'impression, le façonnage et la livraison. Dans les autres cas, la note attribuée pour le délai de transmission du BAT était calculée suivant la formule : - 10 x (délai proposé par le candidat - 4) / 4. La note attribuée pour le délai de fabrication et de livraison était calculée suivant la formule : - 10 x (délai du candidat - 12) / 12. Dans un second temps, ces deux notes étaient retraitées, le candidat ayant obtenu le nombre de points le plus élevé au critère se voyant attribuer automatiquement la note maximale de 20 et les autres candidats voyant leur note recalculée suivant la formule 20 x (Note du candidat) / (Note du candidat ayant eu la meilleure note), ce retraitement se justifiant par le fait que la note maximale de 20 / 20 ne pouvait être attribuée, sans retraitement, que dans l'hypothèse, impossible, d'un délai de réalisation du BAT et de fabrication et livraison de zéro jours
Appliqué au cas d’espèce, la société Chirripo a proposé un délai de production du bon à tirer de trois jours et un délai d'impression de onze jours, ce qui a justifié l'attribution d'une note non retraitée de 3,33 / 20 (soit 10 x (- [3 - 4] / 4) + 10 x (- [11 - 12] / 12). Le groupement attributaire, ayant quant à lui proposé des délais moyens de deux jours pour la transmission du BAT et de dix jours pour l'impression, le façonnage et la livraison, s'est vu attribuer une note globale non retraitée de 6,66 / 20, soit 10 x - (2 - 4) / 4) + 10 x (- (10 - 12) / 12. En application du règlement de la consultation, les notes ont été retraitées, conduisant à l'attribution d'une note de 10 / 20 à la société Chirripo et d'une note de 20 / 20 au groupement attributaire. Ainsi, en ayant proposé un délai total de livraison supérieur de deux jours par rapport à celui de son concurrent, la société Chirripo a subi de ce fait un désavantage de dix points, que ne lui a pas permis de compenser le prix qu'elle a proposé, lequel, bien qu'inférieur de 7,7 % à celui de son concurrent, ne lui a conféré qu'un avantage de 3,08 points au titre du critère du prix.
Adoptant une vision juridique de la situation et reprenant les principes dégagés par le Conseil d’Etat sur la méthode de notation, la cour administrative d’appel de Marseille va rejeter l’argumentaire de la société requérante par un démonstration en quatre temps :
- Les écarts entre les délais proposés par les candidats et les délais imposés par le règlement de la consultation constituent des éléments d’appréciation présentent un lien avec l’objet du marché et permettent d’évaluer la valeur respective des offres sur le critère des délais ;
- La méthode de notation aboutit à l’attribution, à chaque candidat, de notes qui sont strictement proportionnelles aux écarts entre les délais proposés et les délais maximaux autorisés par le dossier de consultation ;
- Cette méthode de notation valorise de manière importante des différences de délai très faibles entre candidats et peut ainsi conduire à attribuer le marché à un candidat ayant présenté un prix très significativement supérieur. Toutefois, la méthode de notation avait été portée de manière détaillée à la connaissance des candidats, qui étaient ainsi en mesure, selon la cour, de prévoir qu’il convenait d’être très performant sur le critère des délais ;
- La cour prend, enfin, le soin de souligner que la société requérante n’a pas soutenu que le coefficient de pondération affecté au critère des délais était trop important au regard de l’objet du marché ; dés lors la cour se refuse à examiner cette question.
Cette décision de justice confirme, tout d’abord, l’importance que le juge accorde au principe de transparence : la méthode de notation est validée, avant tout, car elle était claire et détaillée dans le règlement de la consultation. Les candidats devaient se douter de l’importance accordée par l’acheteur au facteur « délai » et il leur appartenait de faire une offre très performante à ce sujet ; un délai raccourci d’une seule journée permettant de glaner de nombreux points d’avance.
Cette décision valide, ensuite, la méthode de notation employée par de nombreux acheteurs consistant à octroyer une note de 0/10 sur le critère des délais à toute offre se contentant de respecter les exigences du cahier des charges. Pour obtenir des points sur le critère des délais, les candidats devaient donc proposer des « plus-values » par rapport aux exigences du cahier des charges.
Enfin, cet arrêt confirme la possibilité pour l’acheteur d’appliquer pour d’autres critères que le prix le principe de l’attribution d’une note maximale de 10/10 à la meilleure des offres et de noter ensuite les autres offres de manière proportionnelle. Dans notre cas, le département a, ainsi, attribué à la société attributaire une note de 20/20 sur le critère des délais car elle avait proposé sur ce critère la meilleure des offres.