Confronté à des erreurs de quantités ou de métrés figurant dans les quantitatifs annexés aux documents de marché, l’entrepreneur recherche le plus souvent la responsabilité du maître de l’ouvrage pour obtenir le paiement des travaux supplémentaires qu’il a dû, à ce titre, prendre en charge. Cette action à l’encontre du maître de l’ouvrage est, souvent, vouée à l’échec puisqu’on oppose à l’entrepreneur les clauses du marché qui prévoient qu’il est censé, avant de déposer son offre chiffrée, vérifier l’ensemble des quantitatifs.
Dans ce dossier, et c’est son principal intérêt, l’entrepreneur a décidé de rechercher la responsabilité du maître d’œuvre pour les erreurs affectant es quantitatifs.
Les faits à l’origine de ce dossier concernant la réhabilitation de dix-sept immeubles à Moulins (département de l’Allier). L’office public de l'habitat Moulins Habitat, en sa qualité de maître de l’ouvrage, avait, ainsi, confié la maîtrise d'œuvre de ces travaux à un groupement solidaire ayant pour mandataire solidaire la SCP B…Les lots n° 4a et n° 4b relatifs aux travaux d'isolation extérieure ont été attribués à la SARL Bourrassier père et fils. Estimant que les surfaces à isoler avaient été sous-estimées dans le formulaire de décomposition du prix global et forfaitaire (DPGF), la SARL Bourrassier père et fils a demandé la désignation d'un expert au juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand. L’expert judiciaire a confirmé que le DGPF comportait des métrés erronés en raison d’erreurs de calcul imputables à la maîtrise d’œuvre.
La SARL Bourrassier père et fils a, alors, lancé une action contentieuse afin d’obtenir la condamnation solidaire du maître d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre à lui verser une somme de 895.609 euros à raison des prestations supplémentaires effectuées pour faire face aux erreurs figurant dans le quantitatif. Le tribunal administratif, après avoir écarté toute faute du maître de l’ouvrage, a condamné la maîtrise d’œuvre à verser une somme de 675.743 euros TTC à l’entreprise Bourrassier. La cour administrative d’appel de Lyon va rejeter la requête en appel déposée par la maîtrise d’œuvre en adoptant un raisonnement en trois temps.
En premier lieu, la cour va rappeler, avec force, que le caractère global et forfaitaire du marché de travaux ne prive pas l’entrepreneur de la possibilité de rechercher la responsabilité quasi-délictuelle de l’équipe de maîtrise d’œuvre. La cour prend, sur ce point, le soin de clairement indiquer que le « caractère global et forfaitaire du prix des marchés dont la SARL Bourrassier père et fils est titulaire, qui exclut seulement que cette dernière sollicite un paiement supplémentaire auprès du pouvoir adjudicateur, n'est pas de nature à ôter le caractère fautif de ce manquement du maître d'œuvre, ni à faire obstacle à ce que la SARL Bourrassier père et fils s'en prévale ». Pour le dire autrement, le maître d’ouvrage peut s’abriter derrière le caractère global et forfaitaire du marché de travaux pour éviter d’avoir à payer les travaux supplémentaires supportés par l’entrepreneur. En revanche, le maître d’œuvre ne peut pas s’abriter derrière cet argument. Dès lors que la maîtrise d’œuvre a commis une faute, l’entrepreneur peut rechercher sa responsabilité quasi-délictuelle et ce même si le marché de travaux présente une nature globale et forfaitaire
Après avoir caractérisé la faute quasi-délictuelle imputable à l’équipe de maîtrise d’œuvre, la Cour va vérifier s’il est possible de retenir à l’encontre de l’entrepreneur une « imprudence blâmable » qui diminuerait en conséquence son droit à indemnisation. L’entrepreneurise, la Cour va considérer que l’entrepreneur a lui-même commis une faute, « en ne s'assurant pas, comme il lui incombait, de l'exactitude du quantitatif figurant dans les documents des marchés avant de présenter ses offres ». La Cour considère, tout comme le Tribunal, que l’entrepreneur doit supporter une part de responsabilité de 30% à raison de cette « imprudence blâmable ».
Enfin, et en troisième lieu, demeurait à trancher la question d’une éventuelle faute commise par le maître de l’ouvrage. En effet, il apparaît que c’est le maître de l’ouvrage qui a procédé, lors de l’examen des offres, à l’analyse des mémoires techniques déposés par les constructeurs. Le maître d’œuvre soutenait donc que cet examen des mémoires techniques aurait dû conduire le maître de l’ouvrage à déceler l’erreur affectant l’évaluation des surfaces à isoler. La Cour va rejeter cet argumentaire en rappelant que l’examen opéré par le maître d’ouvrage ne portait que sur la capacité technique des candidats à assurer l’exécution des travaux et ne consistait pas à vérifier les quantitatifs figurant dans le DCE. L’argumentaire est rejeté par la Cour qui considère donc que le maître de l’ouvrage n’a pas commis de faute, et ce même s’il a procédé à l’analyse technique des mémoires remis par les candidats.
La Cour confirme donc la position du tribunal en jugeant que la maîtrise d’œuvre doit être condamnée à verser à l’entrepreneur une somme de 675 743,88 euros TTC.
Cet arrêt démontre que confronté à une erreur dans les quantitatifs figurant dans le DCE qui affectent le montant de l’offre proposée, il peut être stratégiquement pertinent pour l’entrepreneur de mettre en cause la responsabilité quasi-délictuelle de la maîtrise d’œuvre au lieu de rechercher la responsabilité du maître de l’ouvrage. Cette stratégie permet à l’entrepreneur d’éviter qu’on lui oppose « frontalement » les clauses du marché de travaux qui prévoient que les travaux sont rémunérés à un prix global et forfaitaire.