Les cocontractants n’hésitent pas à s’opposer mutuellement le délai raisonnable d’un an pour saisir la juridiction administrative afin d’invoquer la forclusion de la demande indemnitaire qui leur est adressée. Or, à ce jour, les juridictions administratives considèrent que ce délai raisonnable d’un an pour saisir le juge administratif ne trouve pas à s’appliquer aux litiges portant sur le règlement financier d’un marché.
La cour administrative d’appel de Versailles vient de réaffirmer ce principe dans ce litige opposant la société Engie Energie Services - Engie Cofely à l'Institut national de la propriété industrielle (INPI). Dans ce dossier, la société Engie réclamait à l’INPI la décharge de pénalités d'un montant total de 287 950 euros prononcées par l’INPI dans le cadre d’un marché conclu entre eux le 22 février 2016 pour la gestion multiservice et multitechnique des sites de l’établissement.
Or, la société Engie avait mis plus d’un an pour saisir le tribunal administratif de Cergy-Pontoise de sa demande de décharges de pénalités à raison essentiellement de la saisine par cette société du comité consultatif national de règlement amiable des différends ou litiges relatifs aux marchés publics.
L’INPI soutenait que cette demande devait être rejetée pour forclusion puisque la société Engie avait mis plus d’une année pour saisir le tribunal administratif.
On sait que depuis 2016 et son fameux arrêt Czabaj (CE Ass 13 juillet 2016, req. n°387.763), le Conseil d’Etat encadre le délai de recours contre les décisions des personnes publiques. Les requérants disposent en principe d’un délai raisonnable d’un an pour contester les décisions administratives afin que ne puissent pas être remises en cause indéfiniment des situations consolidées par l’effet du temps. L’existence de ce « délai raisonnable » constitue un corollaire du principe de sécurité juridique.
Depuis ce jugement de 2016, le Conseil d’Etat est venu préciser la portée de ce principe au regard de la nature des différentes décisions administratives susceptibles d’être adoptées par une personne publique. C’est dans ce cadre que les juridictions administratives doivent décider si ce délai de principe d’un an trouve également à s’appliquer aux contentieux portant sur l’exécution financière des marchés. Dans un arrêt en date du 7 octobre 2021 (référencé 21LY00022), la cour administrative d’appel de Lyon avait d’ores et déjà considéré que le délai raisonnable d’un an ne s’appliquait pas aux « créances contractuelles ». La cour administrative d’appel de Versailles, dans l’arrêt commenté, va adopter la même interprétation du droit.
Après avoir rappelé le principe posé par le Conseil d’Etat sur l’existence d’un délai raisonnable d’un an pour contester une décision administrative, la cour administrative d’appel de Versailles va explicitement indiquer que cette « règle ne trouve pas à s'appliquer aux litiges relatifs au règlement financier d'un marché ». La Cour poursuit en indiquant que « la prise en compte de l'objectif de sécurité juridique, qui implique notamment que ne puissent être remises en cause indéfiniment des situations consolidées par l'effet du temps, est alors assurée, à défaut de stipulation contractuelle invoquée par les parties, par les règles de prescription prévues par la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ».
En matière de contentieux portant sur l’exécution financière des marchés, les seules prescriptions qui sont donc opposables aux requérants sont donc les prescriptions prévues par les stipulations contractuelles (essentiellement les délais fixés par les CCAG pour déposer une réclamation et pour saisir le tribunal) et découlant de la loi du 31 décembre 1968 sur la prescription quadriennale.
La requête de la société Engie a donc été déclarée recevable. Ce qui a permis à la société Engie d’obtenir la décharge totale des pénalités prononcées par l’INPI puisque le prononcé des pénalités litigieuses n’a pas été, en contradiction avec les stipulations contractuelles, précédé d’une mise en demeure.