Le simple dépôt d’un référé précontractuel par le candidat arrivé en seconde position peut conduire l’acheteur à déclarer sans suite une procédure de mise en concurrence

CAA Nantes , 13-06-2025, 24NT01689 , société Generys concessions

La CAA de Nantes vient de rappeler dans ce dossier qu’un attributaire pressenti (ou un concessionnaire pressenti) n’est pas encore le titulaire du contrat. Bien qu’ayant déposé une offre classée en première position, bien que le conseil municipal ait validé ce classement et autorisé le maire à signer le contrat, il demeure un attributaire pressenti sans droit à la conclusion du contrat. Et, il suffit que le candidat classé en seconde position dépose un référé précontractuel, pour que l’acheteur puisse arguer du risque juridique qu’entraîne ce recours contentieux pour déclarer la procédure sans suite et priver, de ce fait, le candidat classé en première position d’un contrat qu’il lui était « promis ». La peur d’une décision défavorable du juge permet donc à l’exécutif d’une collectivité de mettre fin de manière régulière à une procédure de mise en concurrence. Telle est la leçon à tirer de cet arrêt. 

Dans ce dossier, la commune de Blain (département de Loire-Atlantique) a publié, le 1er octobre 2019, un avis d'appel public à la concurrence pour concéder la construction et l'exploitation d'un crématorium communal. Après des négociations qui ont duré de décembre 2019 à avril 2020, le conseil municipal de la commune a retenu, par une délibération du 26 mai 2020, la SAS La compagnie des crématoriums devenue entretemps la société Generys comme concessionnaire et autorisé le maire à signer le contrat pour une durée de trente ans, avec un minimum de vingt-huit ans d'exploitation. Toutefois, le 12 juin 2020, le candidat classé en seconde position a déposé un référé précontractuel auprès du greffe du tribunal administratif de Nantes, soulevant des moyens tirés de la violation des obligations de publicité et de mise en concurrence. Par courrier du 26 juin 2020, le maire de la commune de Blain a informé la SAS La compagnie des crématoriums qu’il déclarait la consultation sans suite notamment pour des motifs liés à des risques juridiques, le maire ayant indiqué qu' " un référé précontractuel mettant en cause la procédure a été initié par le candidat classé en seconde position (...). 

A la suite de cette déclaration sans suite, la SAS La compagnie des crématoriums a demandé à la commune de Blain la réparation du manque à gagner qu'elle estime avoir subi en raison de cette décision pour un montant de 2 729 046 euros HT. Le maire ayant rejeté cette demande, la société a saisi le tribunal administratif de Nantes qui a condamné la commune de Blain à verser à la société Generys concessions une indemnité de 12 000 euros. Cette dernière a fait appel de ce jugement. 

Une des questions que devait trancher la Cour était donc de déterminer si le simple dépôt d’un référé précontractuel (non jugé) permet à un acheteur de justifier d’un risque juridique suffisant permettant de déclarer sans suite une procédure de mise en concurrence. On peut comprendre l’agacement du concessionnaire pressenti : il a déposé l’offre la plus efficiente (classée en première position) ; le conseil municipal a validé ce choix et a autorisé le maire à signer le contrat ; et il a n’a pas pu défendre ses droits dans le cadre du référé précontractuel puisque ce dernier n’a pas été jugé. 

Face à cette situation, on aurait pu s’attendre à ce que la Cour examine, au moins, sommairement les moyens développés dans le référé précontractuel pour vérifier que le dépôt de ce référé faisait courir un risque juridique sérieux pour la Commune. La Cour ne voit pas choisir ce terrain et va s’en tenir à un contrôle très léger de l’erreur manifeste d’appréciation. 

La Cour va, ainsi, rappeler qu’un acheteur « qui qui a engagé une procédure de passation d'un contrat de concession ne saurait être tenue de conclure le contrat. Elle peut décider, sous le contrôle du juge, de renoncer à le conclure pour un motif d'intérêt général ». Reste donc à vérifier l’existence d’un intérêt général. Et ce sur ce point, le contrôle opéré par la Cour de l’existence d’une erreur matérielle d’appréciation est des plus légers. La Cour se contente, ainsi, d’indiquer qu’il « n'est pas établi que cette requête n'aurait eu manifestement aucune chance de prospérer. Ce seul motif d'intérêt général suffit à justifier la déclaration sans suite de la procédure ». 

La Cour rejette donc la requête de la société Generys concessions. La décision est donc sévère pour le concessionnaire pressenti, mais conforme à un état de droit établi. Attributaire pressenti n’est donc pas titulaire.

Ce qu'il faut retenir

1.
Un acheteur qui a engagé une procédure de passation d’un contrat de concession ne saurait être tenue de conclure le contrat 
2.
Il peut décider, sous le contrôle du juge, de renoncer à le conclure pour un motif d’intérêt général 
3.
Constitue un tel motif d’intérêt général le risque juridique encouru par l’acheteur en cas de dépôt d’un référé précontractuel par le candidat classé en seconde position 

À propos de l'auteur

Antoine Alonso Garcia

Inscrit au Barreau de Paris depuis 1999, j'ai créé ma propre structure en 2007.

J’interviens essentiellement dans la conduite de projets publics, tant pour les maîtres d’ouvrage publics (gestion de la passation et de l’exécution des contrats) que pour les entreprises (réponse à appels d’offres, gestion des litiges d’exécution). Cette pratique intensive des projets publics m’a naturellement amené à développer une compétence en matière en droit de la construction (publique et privée) et en droit des assurances.

Maître de conférences pour le cours de droit de l’Ecole des Ponts et Chaussées, j'anime aussi de nombreuses formations en droit de la commande publique et en droit de la responsabilité administrative.

J'ai obtenu en 2020 la mention de spécialisation en droit public

J'ai créé en 2023 le Cabinet CORAL Avocats.


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