Un mur de soutènement appartenant à des propriétaires privés peut constituer un ouvrage public 

Conseil d'Etat, 23-07-2025, 494622 , M. et Mme C

L’ouvrage public est considéré pour beaucoup comme « le mal aimé du droit administratif des biens, (J. PETIT, G. ÉVEILLARD, L’ouvrage public, éd. 2 LexisNexis, 2021) en ce qu’il ne bénéficie d’aucune définition textuelle obligeant qui s’y intéresse à parcourir la jurisprudence. 

La question de la personne (propriétaire privé ou collectivité) en charge de financer les travaux de réparation d’un mur de soutènement séparant la voie publique d’une propriété privée permet, à ce titre, à la jurisprudence administrative de préciser la notion d’ouvrage public. Cet arrêt du Conseil d’Etat va, ainsi, confirmer explicitement qu’un mur de soutènement qui appartient à un propriétaire privé (car édifié sur sa propriété) peut toutefois constituer un ouvrage public dès lors que sa fonction est de « protéger » les usagers d’une voie communale située en contrebas. 

Les requérants, monsieur et madame C sont propriétaires de plusieurs parcelles sur le territoire de la commune de Saint-Florent dans les Yvelines situées en contrebas d'une voie communale et séparées d'elle par un mur édifié au début du XXème siècle. Par un arrêté du 23 juin 2016, le maire de la commune décidait de les mettre en demeure afin de remédier à la menace d’effondrement d’un mur édifié sur leur propriété, en réalisant des travaux de confortement. Ce mur, à l’encontre duquel le maire prit un arrêté de mise en péril sur le fondement de l’article L. 511-1 du Code de la construction et de l’habitation, s’était effondré, causant ainsi un affaissement de la voirie routière.

Par une lettre du 7 avril 2017, le maire constant l’inexécution de son arrêté, décidait de mettre en demeure les époux de réaliser les travaux qu’il avait prescrit auparavant. Par une nouvelle lettre, cette fois-ci du 27 septembre 2019, le maire leur demandait de permettre l’accès à leur propriété afin de réaliser, au frais des époux, les travaux. Il a donc émis dans ce but quatre titres de recettes, correspondant aux frais engagés par la commune. 

Mécontents, les époux demandèrent au tribunal administratif de Versailles d’annuler la décision de 2019 et les titres de recettes s’y afférent. Ce dernier fit droit à leur demande dans un jugement du 29 mars 2022 . La commune entendit interjeter appel devant la Cour administrative d’appel de Versailles. Celle-ci annula le jugement susmentionné en rejetant les prétentions des époux. Elle justifiait sa décision au motif que le mur appartenait aux époux D et que dans ces conditions le mur ne saurait être regardé comme un ouvrage public. 

Les époux décidèrent donc de se pourvoir en cassation devant le Conseil d’État, qui annulera la décision de la cour administrative d’appel de Versailles.

Les juges de la Haute juridiction ont été amenés à se prononcer sur le point de savoir si une personne publique pouvait avoir la charge de réaliser, à ses frais exclusifs, des travaux visant à préserver un ouvrage public propriété d’une personne privée. 

Le Conseil d'État répondra à cette question en réaffirmant que la propriété privée ne fait pas obstacle à ce qu’un ouvrage puisse être un ouvrage public, dans la mesure où celui-ci entretient avec un ouvrage public un lien physique ou fonctionnel tel qu’il doit être considéré comme en étant l’accessoire indispensable. 
Cette décision, aussi lapidaire soit-elle, reste instructive en ce qu’elle se fonde sur la définition classique de l’ouvrage public par accessoire (I), et qu’elle interroge sur les rapports parfois ambigus entre propriété privée et publique (II). 

I. La qualification traditionnelle de l’ouvrage public par accessoire 

Bien que lapidaire, la décision du Conseil d'État rappelle qu’ouvrage public et propriété publique ne sont pas indissociables (A), dans la mesure ou l’ouvrage présente avec l’ouvrage public, un lien physique ou fonctionnel (B). 

A) La réaffirmation lapidaire de la distinction entre propriété publique et ouvrage public 

Au point 2 de son raisonnement, le Conseil d'État énonce que « La circonstance qu'un ouvrage n'appartienne pas à une personne publique ne fait pas obstacle à ce qu'il puisse être regardé comme un ouvrage public ». 
De longue date la jurisprudence administrative admet que la notion d’ouvrage publique est autonome. Cette autonomie, s’exprime d’abord à l’encontre de la domanialité publique. Si les deux notions se recoupent, celles-ci ne se confondent pas. Nécessairement artificiel (CE, 29 avril 2010, avis, Monsieur et Madame Béligaud, n°323179), l’ouvrage public ignore totalement le domaine public naturel ; certaines dépendances du domaine privé sont des ouvrages publics (CE, 16 mars 1955, Ville de Grasse) ; certaines dépendances du domaine public sont mobilières et donc ne peuvent par définition être des ouvrages publics, nécessairement immobiliers (CE, 29 avril 2010, avis, Monsieur et Madame Béligaud, n°323179). 

De surcroit, la domanialité publique est parfaitement incompatible avec la propriété privée, de sorte « qu’en présence d’un titre attribuant la propriété de l’ouvrage à un propriétaire privé, ledit ouvrage ne peut constituer une dépendance du domaine public » (CE, 15 avril 2015, Mme Nederveen, n°369339). 

L’ouvrage public s’est aussi émancipé du travail public, bien que l’ouvrage public résulte souvent du travail public, le lien entre les deux n’a rien de systématique. 

Plus globalement, ces deux cas illustrent le détachement progressif de l’ouvrage public avec la propriété publique. C’est tout à fait logique, les deux notions précédentes étant innervées par la propriété publique. En effet, le domaine public implique propriété publique; le travail public est réalisé par la personne publique ou pour son compte. 

Par ailleurs, la jurisprudence du Conseil d'État admet explicitement depuis plusieurs années, la possibilité qu’une personne privée soit propriétaire d’un ouvrage public. Cette possibilité avait d’ailleurs été synthétisée par l’avis « Monsieur et Madame Béligaud ». La jurisprudence avait balisé cette possibilité, révélant une logique de « contagion » des biens de personnes privées ne répondant pas à la définition mais qui entretiennent un lien fonctionnel indispensable avec un ouvrage public. 

Plusieurs exemples ont déjà été décelés par le Conseil d’État et les juridictions placées sous son contrôle. Ont ainsi été qualifiés d’ouvrages publics le mur de soutènement d’une voie publique implanté sur un terrain privé (CE, 26 février 2016, SCI Jenapy, n°389258), mais aussi un mur appartenant à des personnes privées, protégeant la voie publique, alors qu’il était situé dans leur propriété (CE, 15 avril 2015, Mme Nederveen, n°369339). 

Le critère organique étant désormais obsolète, le Conseil d'État préfère retenir un critère fonctionnel, qu’il apprécie en principe objectivement (B). 

B) La reconnaissance objective de la primauté du critère fonctionnel 

Dans la formule de principe qu’il emploie, le Conseil d'État affirme que le bien appartenant à une personne privée, peut être un ouvrage public « s’il présente, avec un ouvrage public, un lien physique ou fonctionnel tel qu'il doive être regardé comme un accessoire indispensable de celui-ci ». 

Le Conseil d'État après avoir rejeté frontalement la quelconque importance d’un critère organique dans la qualification de l’ouvrage public décidé de se fonder sur un critère fonctionnel. Autrement dit, il aborde la qualification de façon finaliste, il semble ne s’intéresser qu’à la seule utilité publique servie par l’ouvrage.

La théorie de l’accessoire, originellement conceptualisée pour étendre le champ d’application de la domanialité publique, trouve aussi à s’appliquer à l’ouvrage public. Bien qu’autonome, son régime et sa conception sont originellement profondément liées. Ainsi, lorsque l’ouvrage est « incorporé matériellement dans un ouvrage public appartenant à une personne publique dont il devient une dépendance (J.-B. AUBY, L'ouvrage public, CJEG, 1960, p. 535) car il fait « corps avec [lui], il sera, par application de la théorie de l'accessoire, également considéré comme un ouvrage public ». 

La doctrine rappelle que l’utilité publique que sert l’ouvrage accessoire, se doit d’être renforcée et interprétée de façon restrictive pour emporter la qualification. Ainsi, « le défaut de critère organique entraîne, pour que soit atteint le seuil d’une utilité publique suffisante, une intensification du critère matériel tenant à la fonctionnalité de l’ouvrage ». En effet, l’ouvrage accessoire doit être indispensable, autrement dit, vital, qui ne saurait manquer. 

En l’espèce, la justification du Conseil d'État est lacunaire, sinon inexistante. En effet, dans son avis précité, la Haute juridiction établissait une grille d’analyse claire qui enjoignait au juge de faire preuve de méticulosité. Il n’en est rien en l’espèce. Pour comprendre pourquoi le Conseil d'État considère l’ouvrage public à ce motif, il faut se référer aux faits de l’espèce, détaillés dans les décisions du fond et sommairement rappelés dans les premiers points du raisonnement. 

En l’espèce, le mur de soutènement avait ceci d’indispensable que sa ruine entrainait l’affaissement de la voirie routière, faisant courir un risque certain. 

Ainsi, le Conseil d'État rappelle par la présente décision que la notion d’ouvrage public est autonome, et qu’elle est attractive, car admettant en son sein les biens immobiliers accessoires des ouvrages publics. Alors, il convient de s’interroger sur les implications, concrètes et théoriques, de cette qualification par l’accessoire (II). 


II. La détermination subséquente des implications sur le régime de l’ouvrage public par accessoire 

 En principe, les personnes publiques gestionnaires des ouvrages publics doivent entretenir les ouvrages publics (A). Par ailleurs, la possibilité de qualifier un ouvrage public alors même qu’il est un bien privé questionner l’éventuelle extension de la personne publique sur les biens d’une personne privée (B). 

A) La charge de l’entretien d’une propriété privée incombant à la personne publique 

La qualification de l’ouvrage public au moyen de la théorie de l’accessoire implique que la personne publique gestionnaire de l’ouvrage public principal en soit responsable. Pèse sur elle la charge de son entretien. Ainsi, conformément à la jurisprudence du Conseil d’État, la personne publique doit permettre à l’ouvrage d’assurer son rôle. 

Cette qualification n’est pas sans risque pour l’administration qui peut alors voir sa responsabilité engagée. En effet, la personne publique est responsable des dommages causés par ses ouvrages publics, que ceux-ci soient permanent ou accidentels. 

Ainsi, si l’entretien fait défaut, la personne publique sera amenée à devoir réparer les dommages causés par un bien ne lui appartenant pas. Si cette possibilité s’envisage sans grande difficulté lorsque la personne publique a connaissance de la qualité d’ouvrage public par accessoire, elle peut être plus dérangeante lorsqu’elle la découvre à la suite d’un dommage. 

La professeure Fanny TARLET estime que cette charge peut se rattacher à ce que le professeur Marcel PLANIOL appelait « obligation préexistante », qui renvoie à l’obligation naturelle, devoir moral qui doit être accompli spontanément par le débiteur. Ainsi transposée en droit des ouvrages publics, elle induirait que la personne publique est tenue naturellement, d’entretenir les ouvrages avant que tout dommage ne survienne. 

Une friction apparait ici : la personne doit pouvoir connaitre effectivement les ouvrages dont elle à la charge. Cette obligation s’exprime en deux temps : d’abord, elle doit avoir connaissance de l’existence des ouvrages privées susceptibles de constituer un accessoire d’un ouvrage public, et, de connaitre les caractéristiques techniques de l’ouvrage. Sur ce dernier point, elle doit pouvoir estimer l’état de l’ouvrage accessoire afin de déterminer si des travaux d’entretiens s’imposent. 

Se pose donc la question des prérogatives s’offrant à la personne publique pour connaitre de ces informations. L’exorbitance de l’intérêt que sert lesdits ouvrages justifie-t-elle la mise en œuvre de pouvoirs qui pourraient amoindrir la jouissance des personnes privées sur leurs biens. 

Des outils sont évidemment mis à la disposition de l’administration. Elle peut avoir recours à l’emprise, en prenant possession temporairement de la propriété immobilière ou mettre en œuvre ses pouvoirs de police. 

Toutefois, subsiste la question de savoir quels droits conserve le propriétaire privé sur son bien (B). 


B) La question de l’intérêt de la subsistance de la propriété privée sur l’ouvrage 

L’ouvrage est une propriété privée, mais répond à une finalité d’utilité publique. Par ailleurs, la personne publique devrait pouvoir mettre en œuvre ses pouvoirs exorbitants afin d’en assurer l’entretien, sans quoi elle serait responsable des dommages causés par ledit ouvrage. 

Pour rappel, le Conseil d'État considère que les travaux immobiliers exécutés par la personne publique sur une propriété privée, sans emprise irrégulière, dans un but d’intérêt général sont des travaux publics (CE, 16 mai 2012, n°342896). 

Se pose la question de savoir quels sont les pouvoirs que la personne privée propriétaire conserve sur l’ouvrage. Dès lors que l’ouvrage est affecté à un but d’utilité publique, qui plus est qui est renforcé par le caractère indispensable du critère fonctionnel, il est raisonnable de penser que la jouissance des propriétaires sur le bien est amoindrie. 

En effet, il serait difficilement envisageable que ceux-ci puissent décider de détruire l’ouvrage. Le cas d’espèce illustre bien ce problème. L’inaction des propriétaires, causait à la voirie un dommage évident. 
Il est possible de se demander si la personne publique pourrait être amenée à indemniser le propriétaire du fait de cette jouissance tronquée. Une telle conception serait particulièrement sévère pour les personnes publiques, qui peuvent déjà craindre un alourdissement des charges budgétaires qu’il leur incombe. 

La question des assurances sur ce type de bien demeure également épineux : un bien qui appartient à une personne privée mais qui doit être entretenu par la personne publique, sans oublier que les sinistres provoqués par un mur de soutènement « fragile » peuvent être importants. 

Ce qu'il faut retenir

1.
Un mur de soutènement appartenant à un propriétaire privé peut constituer un ouvrage public lorsqu’il constitue un accessoire indispensable de celui- ci 
2.
Tel est le cas lorsque la ruine du mur de soutènement entrainerait l’affaissement de la voirie routière, faisant courir un risque certain aux usagers de la voirie
3.
Dans cette hypothèse, pèse sur la personne publique une obligation d’entretien du mur de soutènement. 

À propos de l'auteur

Antoine Alonso Garcia

Inscrit au Barreau de Paris depuis 1999, j'ai créé ma propre structure en 2007.

J’interviens essentiellement dans la conduite de projets publics, tant pour les maîtres d’ouvrage publics (gestion de la passation et de l’exécution des contrats) que pour les entreprises (réponse à appels d’offres, gestion des litiges d’exécution). Cette pratique intensive des projets publics m’a naturellement amené à développer une compétence en matière en droit de la construction (publique et privée) et en droit des assurances.

Maître de conférences pour le cours de droit de l’Ecole des Ponts et Chaussées, j'anime aussi de nombreuses formations en droit de la commande publique et en droit de la responsabilité administrative.

J'ai obtenu en 2020 la mention de spécialisation en droit public

J'ai créé en 2023 le Cabinet CORAL Avocats.


Rechercher des articles dans la même thématique :