Cet intéressant arrêt permet (une nouvelle fois) de constater que, saisi de cette problématique, le juge administratif examine en détail les circonstances de chaque espèce pour vérifier si une vente en l’état futur d’achèvement (ci-après VEFA) conclue par une personne publique doit être qualifiée de marché public de travaux avec les conséquences juridiques qui s’en suivent.
Dans ce dossier, l’OPH « Deux fleuves Rhône Habitat » (département du Rhône) a lancé, en 2017, une consultation en vue de la cession de parcelles dont il était propriétaire pour que soit réalisé sur leur assise un projet immobilier, incluant la construction de son futur siège et d’une agence. Le contrat envisagé prévoyait une rétrocession, sous la forme d’une VEFA, pour que le siège social et l’agence réintègrent le patrimoine de l’Office.
Au terme de cette consultation, les opérations ont été confiées à la société Paul Kruger. Une VEFA a, ainsi, été conclue par acte notarié en date du 8 août 2018 pour un montant total toutes taxes comprises de 13 977 600 euros. Le siège et l’agence ont été réceptionnés, avec réserves, les 15 janvier et 28 février 2020. Les réserves n’ayant pas été levées dans le délai conventionnel de deux mois, l’Office a exigé, en application du contrat, le paiement d’une pénalité contractuelle s’élevant à 3% du montant total du contrat.
Ainsi, le 2 octobre 2020, l’Office public de l’habitat Deux fleuves Rhône-Habitat a infligé à la société Paul Kruger une pénalité contractuelle de 419 328 euros. Un contentieux est donc né entre l’OPH et la société sur la persistance de réserves à l’échéance contractuelle et sur le montant éventuellement excessif des pénalités contractuelles prononcées.
Le 13 juillet 2023, le tribunal administratif de Lyon s’estimant incompétent a rejeté les conclusions tant de l’OPH que de la société défenderesse. Le tribunal administratif a, en effet, jugé que la VEFA constituait un contrat de droit privé dont le contentieux relève du juge judiciaire.
Mécontent, l’Office public a interjeté appel de cette décision. Il a demandé ainsi à la Cour d’annuler le jugement et de condamner la société Paul Kruger à lui verser la somme de 419 328 euros assortie des intérêts. Pour ce faire, l’OPH soutenait principalement que c’est à tort que le tribunal s’est déclaré incompétent, le contrat sur la base duquel la pénalité se fonde ayant qualité administrative.
La Cour administrative d’appel de Lyon a, ainsi, été amenée à se prononcer sur le point de savoir si une VEFA qui répond idéalement à un besoin de l’acheteur relève de la compétence du juge administratif.
Après un examen minutieux des pièces du dossier, la Cour va annuler le jugement du tribunal administratif de Lyon, affirmant la compétence du juge administratif, après avoir requalifié la VEFA litigieuse de marché public de travaux.
Cette décision est intéressante en ce qu’elle a permis à la Cour de réaffirmer le principe selon lequel les VEFA qui répondent idéalement aux besoins d’une personne soumise au code de la commande publique peuvent constituer des marchés publics de travaux dès lors que l’acheteur exercice sur la réalisation des travaux objet de la VEFA une influence déterminante.
Au point 4 de son raisonnement, pour caractériser cette influence déterminante, la Cour administrative d’appel indique, ainsi qu’« il résulte […] du programme technique annexé au règlement de la consultation que l'acheteur après avoir défini précisément ses besoins, notamment la capacité des bâtiments et ses caractéristiques, s'est assuré de la maîtrise de sa réalisation, des représentants désignés ayant pour mission de suivre l'exécution des travaux en collaboration avec le promoteur. ». La Cour poursuit en indiquant que « la charte d'engagement annexée au dossier technique mentionnait également que l'OPAC du Rhône, en tant qu'acquéreur de son futur siège et de son agence locative, entend exercer un suivi de l'opération à chacune de ses phases pour formuler des avis susceptibles de s'assurer d'une parfaite conformité du projet au regard du programme, de la notice descriptive ainsi que des engagements du titulaire "
La Cour poursuit sa demonstration en prenant en compte un avenant à la VEFA qui sur demande de l’OPH a abouti à une modification substantielle de l’ouvrage pour répondre aux “nouveaux besoins” de l’établissement ce qui a engendré un decalage du planning des travaux.
La Cour s’attache à apprécier in concreto la légalité du recours à la VEFA par l’Office. Ainsi, elle relève que l’Office a pu, en tant qu’acquéreur de son futur siège, suivre l’opération à chaque étape de réalisation, s’assurer de la conformité des travaux, modifier substantiellement le contrat pour qu’il puisse répondre à de nouveaux besoins. Le juge confirme ainsi que l’OPH « a exercé une influence déterminante sur la conception de l’ouvrage ».
Tirant les conclusions de son raisonnement, le juge estime que le contrat litigieux doit « être requalifié de contrat administratif », emportant ainsi la compétence du juge administratif, le juge n’étant pas lié par la dénomination du contrat
La Cour reprend donc, sur ce point, la position classique du Conseil d’Etat et de la CJUE qui considèrent que l’acheteur exerce une influence déterminante lorsqu’il émet des exigences sur la structure architecturale du bâtiment, ou des exigences particulières sur les aménagements intérieurs, ne pouvant être rapprochées de celles que pourrait faire un acheteur ordinaire (CJUE, 22 avril 2021, Commission c./ République d’Autriche, aff. C-537/19.).
Sur le fond du dossier, la Cour se considère donc compétente pour juger du dossier et elle juge de manière souveraine que la pénalité de retard n’est pas excessive.
Ce contentieux ne portait pas sur des problématiques de passation, mais d’exécution. Dans ce cas d’espèce, cette requalification de la VEFA en marchés publics de travaux permet uniquement de résoudre une problématique de compétence juridictionnelle. L’enjeu du dossier est plus important lorsque la question de la qualification du contrat est posée lors d’un contentieux de passation. Un candidat non-retenu peut, ainsi, obtenir l’annulation de la VEFA en démontrant que ladite VEFA constitue un marché de travaux dont la conclusion n’a pas été précédée d’une procédure de mise en concurrence respectueuse du Code de la commande publique.