Pour le sous-traitant, assigner l’entrepreneur principal ne suffit pas pour interrompre le délai de 4 ans pour agir contre la collectivité publique

CAA Paris , 04-07-2023, n°22PA02803 , Société Solotrat

Dans une décision du 04 juillet 2023, la Cour administrative d’appel de Paris a précisé que les actions judiciaires introduites par un sous-traitant devant les juridictions commerciales contre le seul entrepreneur principal ne peuvent avoir pour effet d’interrompre le délai de prescription quadriennale à l’égard de la personne publique.

Il s’agit d’un état du droit bien sévère pour le sous-traitant agrée qui lorsqu’il est confronté en fin de procédure commerciale à la liquidation judiciaire de l’entrepreneur principal, ne pourra pas se retourner contre la collectivité publique si la procédure commerciale a duré plus de 4 ans. C’est un état du droit qui va inciter les sous-traitants agrées à privilégier le dépôt de recours à l’encontre des collectivités publiques.

Le litige portait, en l’espèce, sur l’exécution d’un marché public de travaux conclu entre le département du Val-de-Marne et la société Levaux afin de rénover le collège « Le Centre » et le centre d’information et d’orientation de Villejuif. La société Levaux avait sous-traité une partie des travaux à la société Solotrat. À l’achèvement des travaux, cette dernière a transmis son décompte final à l’entrepreneur et au département, maitre d’ouvrage. Ce décompte a été réceptionné le 26 novembre 2007 par la collectivité. 

La société Solotrat n’ayant pas été payée du solde de son marché, elle a introduit une « série » de contentieux.

Elle a, en premier lieu, saisi le tribunal de commerce d’Évry en 2008 d’une demande tendant à la condamnation de la société Levaux de payer les sommes qui lui étaient dues en application du marché (de l’ordre de 320.000 euros). Le tribunal a fait droit à cette demande. Ce jugement a d’ailleurs été confirmé en appel. Toutefois, la société Levaux a été placée en liquidation judiciaire en avril 2012.

Pour faire face à cette liquidation judiciaire, la société Solotrat a, alors, décidé « d’assigner » le département du Val-de-Marne, en revendiquant sa qualité de sous-traitant agrée bénéficiant du droit au paiement direct. La société Solotrat a, ainsi, saisi le juge des référés du tribunal administratif de Melun d’une demande de provision. Alors que le juge des référés fit droit à sa demande, la Cour administrative d’appel de Paris a rejeté les demandes formulées par la société Solotrat et annulé l’ordonnance de première instance, en octobre 2016, décision confirmée par le Conseil d’État (CE, 10 mars 2017, n°404841). Le Conseil d’Etat a, à l’occasion de cet arrêt, considéré que le recours intenté devant les juridictions commerciales par un sous-traitant contre le seul entrepreneur n’a pas pour effet d’interrompre le délai de prescription quatriennale pour « assigner » la collectivité publique.

Cette demande de provision déposée à l’encontre du département était accompagnée d’une demande « au fond » tendant à obtenir le paiement direct d’une somme de 320.245,12 euros. Déboutée de sa demande au fond par le tribunal administratif de Melun, la société Solotrat a fait appel de ce jugement.

Nous rappellerons que dans le cadre de l’exécution d’un marché public de travaux, le sous-traitant adresse son décompte final au titulaire du marché et au maitre d’ouvrage à l’achèvement de ses travaux comme prévu par l’article 116 du Code des marchés publics (désormais aux articles 2193-10 et suivants du Code de la commande publique). L’entrepreneur principal dispose, alors, d’un délai de 15 jours, pour signifier au sous-traitant l’acception ou le refus motivé d’acceptation dudit décompte.

Il résulte des dispositions de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance que le sous-traitant agréé par le maitre d’ouvrage dispose d’un droit au paiement direct par celui-ci. Toutefois, cette loi ne fait pas obstacle à ce que le sous-traitant soit directement rémunéré par l’entrepreneur (CE, 23 mai 2011, n°338780). Cette possibilité n’entraine pas la renonciation d’un droit au paiement direct du sous-traitant par le maitre d’ouvrage.

En l’absence de paiement par l’entrepreneur dans un délai de 30 jours, le sous-traitant peut former tout recours juridictionnel devant le tribunal administratif compétent pour réclamer les sommes dues. Lorsque l’entrepreneur condamné n’est pas en capacité de régler ces sommes, le sous-traitant peut alors les réclamer directement au maitre d’ouvrage.

Il est, par ailleurs, constant que toute créance due et non payée par l’État ou une collectivité publique est prescrite dans un délai de quatre ans « à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis », et ce en vertu de l’article 1er de la loi n°68-1250 du 31 décembre 1968. Après l’écoulement de ce laps de temps, il n’est plus possible d’introduire un recours juridictionnel pour la réclamation de cette créance.

Toutefois, ce délai est suspendu par tout recours juridictionnel relatif à la réclamation d’une somme d’argent à une personne publique, conformément à l’article 2 de cette même loi. Ainsi, l’interruption du délai de la prescription quadriennale en cas de recours juridictionnel est subordonnée à la mise en cause d’une collectivité publique. Or, selon le Conseil d’Etat (CE, 10 mars 2017, n°404841) « les actions judiciaires, dirigées contre le seul entrepreneur principal, ne sont pas de nature à interrompre le délai de la prescription quadriennale à l'égard de la collectivité publique, maître de l'ouvrage ». 

En l’espèce, à l’achèvement des travaux, la société Solotrat a adressé son décompte final simultanément à l’entrepreneur, la société Levaux et au département du Val-de-Marne le 26 novembre 2007. Le silence de la société Levaux, dans un délai de 15 jours à compter de la réception dudit décompte, implique une acception tacite de celui-ci en date du 11 décembre 2007. 

Le délai de prescription quadriennale de cette créance expirait donc le 01 janvier 2012. Or, à cette date (1er janvier 2012), la société Solotrat n’avait introduit qu’un contentieux contre la société Levaux devant les juridictions commerciales. En effet, ses actions contentieuses à l’encontre du département n’ont été introduites que le 30 juin 2015 (pour le référé-provision) et le 26 octobre 2018 (pour l’action au fond). 

La Cour administrative d’Appel de Paris reprenant la position du Conseil d’Etat considère donc logiquement que les actions judiciaires introduites devant le tribunal de commerce d’Évry et la Cour d’appel de Paris à l’encontre de la société Levaux en octobre 2008 n’emportent aucun effet suspensif sur le délai de la prescription quadriennale à l’égard du département du Val-de-Marne. À aucun moment, le maitre d’ouvrage n’a été mis en cause par le sous-traitant.

Ce qu'il faut retenir

1.
Les actions judiciaires, dirigées par le sous-traitant agrée contre le seul entrepreneur principal, ne sont pas de nature à interrompre le délai de la prescription quadriennale à l'égard de la collectivité publique, maître de l'ouvrage. 

À propos de l'auteur

Antoine Alonso Garcia

Inscrit au Barreau de Paris depuis 1999, j'ai créé ma propre structure en 2007.

J’interviens essentiellement dans la conduite de projets publics, tant pour les maîtres d’ouvrage publics (gestion de la passation et de l’exécution des contrats) que pour les entreprises (réponse à appels d’offres, gestion des litiges d’exécution). Cette pratique intensive des projets publics m’a naturellement amené à développer une compétence en matière en droit de la construction (publique et privée) et en droit des assurances.

Maître de conférences pour le cours de droit de l’Ecole des Ponts et Chaussées, j'anime aussi de nombreuses formations en droit de la commande publique et en droit de la responsabilité administrative.

J'ai obtenu en 2020 la mention de spécialisation en droit public

J'ai créé en 2023 le Cabinet CORAL Avocats.


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