Pas de préjudice « anormal » en cas d’ouvrage public respectant les normes de bruit
CAA Nancy, 18-07-2023, n°20NC02616 , M. et Mme E
En l’espèce, le lieu de résidence de Monsieur et Madame E se trouvent à proximité d’un complexe sportif. Ce complexe a été construit en 2014 par la commune de Illkirch-Graffenstaden. Une convention de mise à disposition a été conclue entre la commune et le club de rugby d’Illkirch-Graffenstaden (CRIG) pour leurs matchs et entrainements.
Afin d’être indemnisé des préjudices prétendument subis, les consorts E ont adressé une réclamation préalable simultanément au club de rugby et à la commune. Après le refus de leur demande indemnitaire, ils ont saisi le tribunal administratif de Strasbourg d’une demande tendant à condamner solidairement le club et la commune au versement d’une indemnisation au titre des préjudices subis, d’enjoindre la commune à effectuer des travaux d’isolation phonique et d’interdire l’exploitation des installations sportives. Cette demande a été rejetée par le tribunal administratif de Strasbourg. Ils ont alors décidé d’interjeter appel.
Il sera rappelé que la responsabilité sans faute d’une collectivité publique peut être engagée pour les
« dommages que les ouvrages publics dont elle a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. La collectivité ne peut dégager sa responsabilité que si elle établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure » (CE, ass., 28 mai 1971, n°76216).
Dans cette hypothèse, l’administré tiers à l’ouvrage public doit démontrer qu’il subit un préjudice « anormal et spécial ». Seul le tiers victime d’un dommage accidentel et non permanent est dispensé d’une telle démonstration.
En l’espèce, les nuisances sonores étaient constituées par des cris, des applaudissements, des coups de sifflet, des bruits de mégaphones et de fanfares, des échos en raison d'un mauvais aménagement du site, et plus accessoirement d'un éclairage trop puissant et des allées et venues de véhicules stationnés. Or, après expertise suivie d'une contre-expertise, il s’avère que l’émergence sonore résultant de l'utilisation en journée ou le soir du terrain synthétique du complexe sportif est faible, et en dessous du seuil règlementaire. Il s’avère donc que les bruits générés par les matchs et entrainements sont conformes à la règlementation en vigueur. De plus, le niveau sonore, notamment lié à l'activité du terrain, est globalement couvert par le bruit résiduel constitué du trafic routier, lequel borde la propriété des requérants.
La Cour administrative d’appel de Nancy en conclut que l’utilisation qui est faite de cet équipement sportif ne porte pas atteinte à la tranquillité publique au sens de l’article R. 1334-33 du Code de la santé publique
Dès lors, pour la Cour, faute d’atteinte à la tranquillité publique, le requérant ne peut revendiquer un préjudice anormal et spécial.
On peut être un peu surpris par cette démonstration de la Cour qui lie la caractérisation d’un préjudice anormal à la violation des normes de bruit. En suivant ce raisonnement le régime de la responsabilité sans faute dont bénéficie le tiers à un ouvrage public se rapproche peu à peu de la responsabilité pour faute puisque l’administré doit démontrer que les activités bruyantes dont il est victime méconnaissent les normes en vigueur.
N'obtenant pas gain de cause sur le fondement de la responsabilité sans faute, le requérant a tenté d’obtenir gain de cause en engageant la responsabilité pour faute de la collectivité pour carence du Maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police.
En effet, aux termes des articles L. 2542-1 et suivants du CGCT, le Maire doit veiller au respect de l’ordre public, et notamment de la tranquillité publique des habitants. En vertu de ses pouvoirs de police, le maire est en mesure de réprimer les délits portant atteinte à la tranquillité publique.
En l’espèce, les consorts E reprochent au Maire de ne pas avoir pris les mesures nécessaires à faire cesser les nuisances sonores qu’ils subissaient. Or, comme dit précédemment, l’instruction démontre que ces nuisances ne portaient pas atteinte à la tranquillité publique au sens juridique du terme. De plus, le Maire a fait usage de ses pouvoirs de police afin, d’une part, d’éviter les stationnements répétés aux abords du stade et à proximité des habitations et, d’autre part, de limiter l’éclairage à 50% des entrainements. Enfin, le moyen selon lequel la commune a commis une faute dans la conception et la réalisation de l'ouvrage est infondé dès lors que les requérants n’apportent aucun élément probant relatif à l’absence d'étude acoustique préalable à la construction et à son insuffisante isolation phonique.
L’engagement de la responsabilité de la commune est donc rejeté tant sur le plan du régime de la responsabilité sans faute de la personne publique que sur le plan de la responsabilité pour faute.
En dehors de la responsabilité de la personne publique, les tiers à un ouvrage public peuvent également engager la responsabilité du délégataire de service public.
Or, la convention de mise à disposition d’équipements sportifs entre la commune et le CRIG est une autorisation d’occupation du domaine public communal, et non une délégation de service public. L’activité sportive exercée par le club n’est pas reconnue comme une mission de service public. Cette convention n’a d’ailleurs pas pour but de confier la gestion d’une activité sportive, dont la commune aurait le contrôle, au club de rugby. Il ressort alors que la juridiction administrative n’est pas compétente pour répondre aux conclusions indemnitaires dirigées contre le club par les requérants.
Sur ce plan, la requête des consorts E. est donc également rejetée.
Ce qu'il faut retenir