Dispense de mise en concurrence et pas d’allotissement pour la réalisation d’une statue présentant une nature propre 

TA Dijon, 23-02-2024, n°2400418 , Préfet des Alpes-Maritimes

Dans le cadre de la construction d’un parking souterrain devant l’église Jeanne d’Arc, située au cœur du quartier niçois de Fuon-Cauda, la régie du stationnement hors voirie de la métropole Nice Côte d’Azur, dénommée « Parcs d’Azur », a attribué le 2 octobre 2023, sans publicité ni mise en concurrence, le marché public pour la conception et la réalisation d’une statue de Jeanne d’Arc à l’atelier Missor. 

Dans ce contexte, le préfet des Alpes-Maritimes a demandé, par courrier du 17 novembre 2023, la communication des pièces du marché afin d’en examiner la légalité. Celles-ci lui ont été adressées le 30 novembre 2023. 

A l’issue de son examen, le préfet a décidé de déférer au tribunal administratif de Nice l’attribution de marché. Plus précisément, il a demandé au juge des référés de suspendre l’exécution de ce marché public. 
Dans sa requête du 25 janvier 2024, le préfet conteste, notamment, le choix de la procédure de passation (I) et soulève la méconnaissance de l’obligation d’allotir (II). 

Néanmoins, en raison de la nature et de la particularité de l’œuvre, des raisons artistiques et techniques qui l’entourent, le juge des référés considère que, en l’état de l’instruction, ces moyens ne sont pas de nature à créer un doute sérieux sur la régularité de la procédure. 

En premier lieu, le préfet conteste le choix de la procédure de passation. 

Le marché litigieux a été passé sur le fondement de l’article R.2122-3 du code de la commande publique. 
Aux termes de cet article, la personne publique peut passer, de manière dérogatoire, un marché sans publicité ni mise en concurrence pour des raisons artistiques particulières. Ces raisons peuvent tenir soit à l’objet de la prestation commandée soit à des raisons techniques soit à l’existence de droit d’exclusivité. 
Or, selon le représentant de l’Etat, la régie « Parcs d’Azur » ne justifie pas le choix de cette procédure pour la conception et la réalisation d’une statue de Jeanne d’Arc. 

Aussi, le préfet estime que cette commande aurait dû s’inscrire dans le cadre de la procédure dédiée aux marchés de décoration des constructions publiques dont les règles sont prévues aux articles R.2172-7 et suivants du code de la commande publique. 

Néanmoins, le juge des référés du tribunal administratif rejette cette argumentation. 

En effet, il retient que l’œuvre commandée présente un « caractère propre ». C’est donc en raison de sa « nature » et pour des « raisons artistiques et techniques » que la conception et la réalisation de la statue de Jeanne d’Arc ne pouvaient être confiées qu’à un opérateur unique, en l’occurrence l’atelier Missor. 

La décision commentée est relativement silencieuse sur la « particularité » de l’œuvre litigieuse de sorte qu’il apparaît difficile d’appréhender concrètement la justification de cette procédure. 

Cependant, la polémique qui a entouré cette commande permet d’apprendre que la régie a commandé une statue de bronze Jeanne d’Arc de 2,30 mètres de hauteur. Du coté de l’attributaire, l’atelier Missor s’est construit autour de l’envie de construire des « statues monumentales pour les villes ». 

Dès lors, le choix de l’atelier apparaît cohérent avec la commande mais les « raisons artistiques et techniques », la « nature » et la « particularité » de l’œuvre ayant permis de déroger aux règles de publicité et de mise en concurrence demeurent floues à la lecture de l’ordonnance commentée. 

Il convient néanmoins de préciser que cette solution a été adoptée dans le cadre d’une procédure de référé dans laquelle le contrôle opéré par le juge se limite à l’appréciation d’un « doute sérieux » quant à la légalité du marché litigieux. 

Par conséquent, cette solution témoigne que les éléments apportés par le préfet n’ont pas permis d’établir l’existence d’un tel doute sur le choix de la procédure. 

Elle rappelle, ensuite, que la possibilité pour une personne publique d’attribuer un marché, sans publicité ni mise en concurrence, dès lors que des raisons artistiques ou techniques de l’œuvre commandée implique de confier sa réalisation à un opérateur unique. 

Enfin, il convient de préciser que cette décision ne préjuge pas de la solution qui sera retenue, le cas échéant, par le juge du fond. 

En deuxième lieu, le préfet des Alpes-Maritimes reprochait également à la régie « Parcs d’Azur » de ne pas avoir alloties les prestations du marché. 

Toutefois, rappelant la « particularité » de l’œuvre commandée et le « caractère indissociable de la statue et de son socle », le juge des référés a rejeté le moyen soulevé. 

Ainsi, les caractéristiques particulières d’une œuvre artistique peuvent faire obstacle à la caractérisation d’un doute sérieux tiré de la méconnaissance de l’obligation de la personne publique d’allotir.
 
Autrement dit, et en définitive, le juge des référés considère qu’une personne publique peut être contrainte de ne pas allotir un marché public compte tenu des particularités de l’œuvre commandée. 

Tels sont les deux principaux apports de la décision commentée. 

Ce qu'il faut retenir

1.
Une collectivité peut choisir sans mise en concurrence le sculpteur en charge de réaliser une statue imposante présentant une « nature propre » 
2.
Cette commande artistique n’a pas à être allotie 

À propos de l'auteur

Antoine Alonso Garcia

Inscrit au Barreau de Paris depuis 1999, j'ai créé ma propre structure en 2007.

J’interviens essentiellement dans la conduite de projets publics, tant pour les maîtres d’ouvrage publics (gestion de la passation et de l’exécution des contrats) que pour les entreprises (réponse à appels d’offres, gestion des litiges d’exécution). Cette pratique intensive des projets publics m’a naturellement amené à développer une compétence en matière en droit de la construction (publique et privée) et en droit des assurances.

Maître de conférences pour le cours de droit de l’Ecole des Ponts et Chaussées, j'anime aussi de nombreuses formations en droit de la commande publique et en droit de la responsabilité administrative.

J'ai obtenu en 2020 la mention de spécialisation en droit public

J'ai créé en 2023 le Cabinet CORAL Avocats.


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