Condamnation pénale non-définitive : la double peine pour l’entreprise candidate à une procédure de passation

Conseil d'État, 16-02-2024, n°488524 , Département des Bouches-du-Rhône

En vue de la construction d’un collège à Châteauneuf-les-Martigues, le département des Bouches-du-Rhône a engagé une procédure de passation d’un marché public. La société Rénovation peinture a déposé une offre au titre du lot 2.04, pour les peintures et revêtements de sol.

Cependant, par une décision du 2 août 2023, la présidente du Département a exclu cette société de la procédure, sur le fondement du 1° de l’article L.2141-8 du code de la commande publique, au motif que l’associé majoritaire de la société avait été condamné par un jugement du tribunal correctionnel de Marseille du 2 décembre 2022 pour des faits de corruption active. Ces faits avaient été commis à l’occasion de l’attribution de marchés publics passés par ce même département de janvier 2012 à mai 2016.

La société Rénovation peinture a, alors, formé un référé précontractuel devant le juge des référés du tribunal administratif de Marseille qui, par une ordonnance du 7 septembre 2023, a annulé la décision d’exclusion.

Le tribunal a estimé que ni la société Rénovation peinture ni son associé majoritaire ne pouvaient être regardés comme ayant, dans le cadre de la procédure de passation en cause ou dans le cadre d’autres procédures récentes de la commande publique, entrepris d’influencer la prise de décision de l’acheteur.

En effet, et pour motiver son ordonnance, le juge des référés a relevé que les faits qui ont donné lieu à la condamnation pénale ne revêtaient pas un caractère « récent ».

Néanmoins, le département des Bouches-du-Rhône s’est pourvu en cassation et demandé au Conseil d’État d’annuler cette ordonnance et, statuant en référé, de rejeter la demande de la société Rénovation peinture qui souhaite obtenir la réintégration de sa candidature. 

Par sa décision du 16 février 2024, le Conseil d’État a fait droit aux demandes du département. L’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Marseille a ainsi été annulée.

Pour justifier cette annulation, le Haute juridiction a considéré que les dispositions du code de la commande publique, interprétées à la lumière de la directive européenne qu’elles transposent, permettent à l’acheteur de prendre en compte, pour prononcer une telle exclusion, que des faits commis au cours des trois dernières années. Le Conseil d’État précise, toutefois, que « lorsqu’une condamnation non définitive a été prononcée à raison de [ces faits], cette durée de trois ans court à compter de cette condamnation ».

Pour rappel, à l’occasion d’une procédure de passation de marché public, les dispositions de l’article L.2141-8 du code de la commande publique, offre une possibilité à l’acheteur d’exclure un candidat.

Cette faculté de l’acheteur est limitée à deux cas, dont celui où le candidat a « entrepris d'influer indûment sur le processus décisionnel de l'acheteur ou d'obtenir des informations confidentielles susceptibles de leur donner un avantage indu lors de la procédure de passation du marché ».

Or, ces dispositions du code de la commande publique ont fait l’objet d’une interprétation jurisprudentielle « très large » (1). En effet, dans une précédente affaire concernant le Département des Bouches-du-Rhône (2), le Conseil d’État avait considéré que le cas d’exclusion précité s’appliquait pour des faits commis « dans le cadre de la procédure de passation en cause » mais aussi pour ceux réalisés « dans le cadre d’autres procédures récentes à la commande publique ».

Dit autrement, l’acheteur public peut décider d’exclure un candidat, pour une durée de trois ans maximum, pour les faits mentionnés à l’article L.2141-8 du code de la commande public commis à l’occasion d’une procédure de passation antérieure pourvu que cette procédure soit « récente ».

Toutefois, cet « ajout prétorien », confortée par la jurisprudence européenne, soulève la question de l’interprétation du caractère « récent » d’une procédure.

Dans ses conclusions, le rapporteur public considère que les juges sont « tenus » d’interpréter ce critère à l’aune des dispositions de la directive européenne.

À cet égard, la directive prévoit, pour les cas d’exclusion facultative, que « lorsque la durée d’exclusion n’a pas été fixée par jugement définitif, elle ne peut dépasser (…) trois ans à compter de la date de l’évènement concerné ».

À partir de là, reste à définir quel évènement peut constituer le point de départ de cette durée de trois ans.

De nouveau, le rapporteur public propose de « marcher sur les traces de la CJUE » pour considérer que le point de départ s’apprécie selon que les faits en cause ont été sanctionnés ou non.

En l’absence de sanction, le point de départ est fixé au jour de la commission des faits répréhensibles. En revanche, en présence d’une « sanction administrative ou d’une condamnation pénale non définitive », le délai débute à la date de cette décision.

Le rapporteur public est pleinement suivi dans ses conclusions.

Effectivement, et bien que les faits reprochés à l’associé majoritaire de l’entreprise Rénovation peinture se soient déroulés plus de 7 ans avant la procédure en cause, le Conseil d’État a considéré que le département avait pu exclure l’entreprise candidate au regard du jugement « récent » du tribunal correctionnel de Marseille, intervenu l’année précédente.

Cette solution apparaît, en pratique, préjudiciable pour les entreprises candidates à des marchés publics. En effet, si les faits susceptibles d’exclure une société d’une procédure de passation font l’objet d’une sanction plus de trois ans après leur commission, cet évènement nouveau ouvrira une nouvelle période de trois ans durant laquelle le pouvoir adjudicateur pourra, de nouveau, exclure la société.

Or, le délai de prescription pénale et la longueur des procédures judiciaires sont autant de facteurs favorables à l’ouverture d’un nouveau point de départ de la période d’exclusion.

La situation de l’entreprise candidate risque de s’aggraver en cas de condamnation pénale définitive pour des faits de corruption active. En effet, le caractère définitif de cette condamnation oblige désormais le pouvoir adjudicateur d’exclure la société pour une durée maximale de cinq ans (3).

Si cette solution a le mérite de proposer une harmonisation des jurisprudences française et européenne, sa portée risque, en pratique, de permettre la succession de périodes d’exclusion au-delà des durées prévues par les dispositions nationales et européennes.

Si la situation de la société Rénovation peintures n’a pas conduit à cette situation, le rapporteur public reconnaît que si une telle situation se présentait, elle « pourrait (…) sans doute mériter un renvoi préjudiciel à la CJUE ».

Ainsi, par la décision commentée, éclairée par les conclusions de M. Nicolas Labrune, le Conseil d’État rappelle qu’il n’est que « la bouche de la loi » dont la stricte application peut le conduire à une décision dont les effets ne sont « pas très satisfaisants » pour le justiciable mais « inévitable » pour le juge.

(1) Conclusions sous CE, 16 février 2024, n°488524
(2) CE, 24 juin 2019, Département des Bouches-du-Rhône, n°428866, p.230
(3) Article L.2141-1 du code de la commande publique

Ce qu'il faut retenir

1.
Dans l’hypothèse d’une exclusion facultative, l’acheteur public peut décider d’exclure un candidat compte tenu de son comportement au cours de la procédure en cause mais également au regard de son comportement antérieur, dans la limite de trois ans.
2.
Dans ce dernier cas, le point de départ de période d’exclusion de trois ans débute à compter de la commission des faits ou, en cas de sanction ou de condamnation pénale, à partir de la date de cette décision, même si elle n’est pas définitive. 

À propos de l'auteur

Antoine Alonso Garcia

Inscrit au Barreau de Paris depuis 1999, j'ai créé ma propre structure en 2007.

J’interviens essentiellement dans la conduite de projets publics, tant pour les maîtres d’ouvrage publics (gestion de la passation et de l’exécution des contrats) que pour les entreprises (réponse à appels d’offres, gestion des litiges d’exécution). Cette pratique intensive des projets publics m’a naturellement amené à développer une compétence en matière en droit de la construction (publique et privée) et en droit des assurances.

Maître de conférences pour le cours de droit de l’Ecole des Ponts et Chaussées, j'anime aussi de nombreuses formations en droit de la commande publique et en droit de la responsabilité administrative.

J'ai obtenu en 2020 la mention de spécialisation en droit public

J'ai créé en 2023 le Cabinet CORAL Avocats.


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