La cession d’un terrain communal pour permettre à un promoteur privé de réaliser des logements sociaux ne constitue pas un marché public
TA Versailles, 26-01-2024, n°2109860 , SAS CCU et Co, SCCV Les Jardins de l’Aqueduc c. Commune de Louveciennes
Les sociétés requérantes soutiennent que la délibération litigieuse renferme également la réalisation de logement sociaux par la société acquéreuse et sur les parcelles cédées. Elles considèrent ainsi que cette délibération constitue un contrat de marché public de travaux ou de concession de travaux publics en application des dispositions du code de la commande publique. À ce titre, une procédure de publicité et de mise en concurrence aurait due être initiée préalablement.
Par le jugement commenté, le tribunal administratif de Versailles rappelle le principe selon lequel la cession d’une parcelle du domaine privé d’une collectivité locale n’est pas soumise à une procédure de publicité et de mise en concurrence (1). Il répond ensuite sur l’objet de la délibération pour finalement rejeter la demande en requalification des sociétés requérantes.
En effet, les juges de première instance ont considéré que la cession immobilière litigieuse ne renfermait ni un marché public de travaux (I) ni une concession de travaux (II).
I. D’abord, pour le tribunal, la cession ne saurait revêtir la qualification de marché public dès lors qu’elle n’est pas « destinée à répondre aux besoins de la commune en matière de travaux ».
Effectivement, l’article L.2 du code de la commande publique prévoit qu’un contrat de la commande publique implique nécessairement la réponse à un « besoin » précis du pouvoir adjudicateur « en matière de travaux, de fournitures ou de services ».
Aussi, la « simple cession immobilière » par une personne publique ne constitue pas, en principe un marché public de travaux.
Il peut en aller différemment lorsque le contrat répond à « intérêt économique direct » (2) du pouvoir adjudicateur-cédant. Pour le juge administratif français cet « intérêt économique direct » ne suffit pas à requalifier un contrat en marché public, encore faut-il regarder son « objet principal » (3).
Comme le rappelle le jugement commenté, un contrat de cession peut être qualifié de marché public lorsque les travaux ou l’ouvrage réalisés sur l’immeuble cédé sont destinés au pouvoir adjudicateur.
Or, dans l’affaire commentée, le contrat de cession porte sur des parcelles qui ont vocation à accueillir « la construction d’un programme immobilier visant à répondre aux objectifs triennaux de production de logements fixés à la commune ». Plus précisément, l’opération « consiste en la réalisation de 63 logements sociaux ».
La commune de Louveciennes a autorisé la cession de parcelles de son domaine privé sur lesquelles l’acquéreur réalisera des travaux de construction qui permettront, in fine, à la commune de satisfaire les objectifs réglementaires en matière de production de logements sociaux.
Un tel montage suscite nécessairement la réflexion autour de la (re)qualification de la cession. Celle-ci n’a-t-elle pas vocation à contourner les règles de la commande publique et, de fait, à léser les potentiels concurrents de la société-acquéreuse des parcelles ?
En effet, la cession des parcelles permet à l’acquéreur d’y réaliser une opération de construction, c’est-à-dire de travaux. Pour la collectivité venderesse, la cession présente indéniablement un intérêt économique puisqu’elle lui a permis de percevoir la somme tirée de la vente mais aussi de satisfaire ses objectifs de construction de logements sociaux sans avoir à en supporter le coût financier. La présence d’un intérêt économique direct pour la commune-cédante pourrait s’observer.
Toutefois, le tribunal a considéré qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier que la commune assurera la maîtrise d’ouvrage des opérations de construction de logement sociaux ni que ces logements « deviendront sa propriété ou qu’ils seront mis à sa disposition ». De la sorte, la cession litigieuse ne répond pas à un besoin de la collectivité. Elle ne peut donc s’apparenter à un marché public.
En outre, la référence « aux objectifs triennaux de production de logement » semble faire allusion à la jurisprudence selon laquelle l’intérêt économique direct ne se confond pas avec la satisfaction d’un objectif public d’intérêt général dont il incombe au pouvoir adjudicateur d’assurer le respect (4).
C’est ainsi que, s’agissant de cessions aux fins de construction de logements sociaux, deux juridictions d’appel, au moins, ont refusé de retenir l’existence d’un intérêt économique de la personne publique cédante en considérant que de telles opérations visent « la réalisation de l’intérêt général » (5) et « ne répond pas [aux] besoins propres » de la collectivité territoriale cédante (6).
Par conséquent, si la construction de logements sociaux est une obligation pour les communes, elle ne traduit pas nécessairement un besoin propre de celles-ci au sens des dispositions du code de la commande publique. Les tiers à l’opération de cession qui a vocation à accueillir un tel projet ne peuvent donc pas se considérer comme lésés par un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence.
II. Ensuite, concernant la disqualification de la cession en contrat de concession de travaux, le jugement se borne à constater qu’ « il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que cette opération a pour objet de confier l'exécution de travaux à un opérateur économique, à qui est transféré un risque lié à l'exploitation de l'ouvrage, en contrepartie soit du droit d'exploiter l'ouvrage qui fait l'objet du contrat, soit de ce droit assorti d'un prix ».
Si la motivation est perfectible sur ce point, la solution retenue n’en demeure pas moins attendue et conforme à l’état de la jurisprudence.
Effectivement, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé qu’ « aussi longtemps qu’un opérateur jouit du droit d’exploiter le terrain dont il est le propriétaire, la possibilité qu’une autorité publique attribue une concession portant sur cette exploitation est, en principe ,exclue » (7).
Cette solution a récemment été reprise par le Conseil d’État qui a refusé de requalifier une promesse de vente en concession de travaux (8).
En l’occurrence, la cession litigieuse à vocation à précéder le projet immobilier. Dans ces conditions, l’exploitation des parcelles cédées pour y réaliser des logements trouvera sa seule source dans le droit de propriété de la société acquéreuse. La commune venderesse ne peut ainsi pas « transférer » un risque d’exploitation ou un droit d’exploiter un ouvrage que sur un bien qu’elle détient juridiquement.
Par conséquent, en tant que contrat translatif de propriété, la cession de parcelles est incompatible avec une requalification en concession de travaux. Les sociétés requérantes, concurrentes de l’acquéreur, ne peuvent donc pas se prévaloir d’une requalification en concession de travaux pour soutenir la commune aurait méconnu les règles de la commande publique en cédant ses parcelles à un opérateur privé.
Pour résumer, les effets d’une cession sont incompatibles avec la définition d’une concession de travaux. En revanche, le risque d’une requalification de la cession des parcelles d’une collectivité n’est pas à exclure sous l’angle du marché public dès lors que cette cession est susceptible de répondre à un besoin propre de la collectivité.
(1) CE 26 octobre 1994, Monier, n° 121717
(2) CJUE 25 mars 2010, Helmut Müller, aff. C-451/08
(3) CAA Douai, 25 oct. 2012, Sté immobilière Carrefour, n°11DA01951, Inédit au recueil Lebon
(4) CE 15 mai 2013, Ville de Paris, n° 364593
(5) CAA Marseille, 6e chambre, 17 mai 2021, n° 19MA03527
(6) CAA Bordeaux, 7e chambre, 3 septembre 2020, n° 18BX04475
Ce qu'il faut retenir