De nombreuses modifications du programme des travaux par le maître de l’ouvrage ne suffissent pas à caractériser une faute de sa part
CAA Marseille, 27-11-2023, n°23MA00261
Dans cette affaire, la métropole Nice Côte d'Azur a lancé un appel d'offres relatif à l'aménagement d’une « coulée verte » à Nice. Dans le cadre de ce marché, le lot « gros œuvre » a été attribué à un groupement de deux sociétés, et sous la maitrise d’œuvre d’un groupement constitué de quatre sociétés.
À l’occasion de la notification de son projet de décompte au groupement de maîtrise d’œuvre, les sociétés titulaires du marché ont inclus une demande de règlement complémentaire à hauteur de 754 975,26 euros au titre des surcoûts liés à des difficultés d'exécution. Resté sans réponse, le groupement a mis le maître de l'ouvrage en demeure d'établir le décompte général du marché. En l’absence de décompte général dressé dans un délai de trente jours suivants la mise en demeure, les entrepreneurs ont saisi le tribunal administratif de Nice aux fins de fixation du décompte général et d’indemnisation.
Sur le terrain de la responsabilité contractuelle, le groupement requérant soutient que la responsabilité du maître de l’ouvrage peut être engagée, notamment, en raison des multiples modifications du programme des travaux (I). À titre subsidiaire, il invoque la responsabilité quasi-délictuelle des membres du groupement de maîtrise d'œuvre, de leurs sous-traitants et de leurs assureurs à raison, notamment, des modifications du projet en cours de chantier et des validations tardives des plans d'exécution (II).
I. Tout d’abord, en ce qui concerne l’engagement de la responsabilité du maître de l’ouvrage, la Cour administrative d’appel de Marseille rappelle implicitement que celle-ci peut être retenue qu’en cas de faute commise par celui-ci dans ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, qu’elle concerne la conception ou l’exécution du marché (1). Aussi, s’agissant des modifications du programme de travaux par le maître de l’ouvrage, la Cour précise que ces modifications ne sont susceptibles d’ouvrir droit à une indemnisation du titulaire « que dans l'hypothèse où ces modifications révèlent une faute tenant notamment à une insuffisante estimation, par le maître de l'ouvrage, de ses besoins ».
En l’occurrence, elle considère que « les douze ordres de service du maître de l’ouvrage qui seraient à l’origine de trente ordres de service du maître d’œuvre » ne suffisent pas, à eux seuls, à établir une insuffisante estimation des besoins du maître de l’ouvrage et, par conséquent, de caractériser une faute de nature à ouvrir droit à une indemnisation.
La solution retenue permet d’observer que le nombre de modifications du programme des travaux est sans incidence sur l’identification d’une faute, encore faut-il que le requérant apporte la preuve que ces modifications ont réellement transformé l’estimation initiale des besoins du maître de l’ouvrage.
II. Ensuite, sur le terrain de la responsabilité quasi-délictuelle des maîtres d’œuvre, la Cour administrative d’appel de Marseille commence par rappeler la solution selon laquelle, dans le cadre d'un litige né de l'exécution de travaux publics, le titulaire du marché peut rechercher la responsabilité quasi délictuelle des autres participants à la même opération de construction, notamment s'ils ont commis des fautes qui ont contribué à l'inexécution de ses obligations contractuelles à l'égard du maître d'ouvrage (2).
Un titulaire peut ainsi se prévaloir d'un manquement aux stipulations des contrats que ces autres participants ont conclus avec le maître d'ouvrage. Toutefois, et c’est précisément ce que tend à rappeler la décision commentée, il ne peut se prévaloir que d’un manquement à une obligation contractuelle qui le préjudicie de manière directe et certaine.
Dans ses conclusions sont l’arrêt Société coopérative métropolitaine d’entreprise générale, la rapporteure publique, Mme Le Corre, explique ainsi que « sont nécessairement exclues de ces stipulations mobilisables celles qui ont été conclues dans le seul intérêt des parties au contrat, à l’instar des clauses de solidarité entre les entreprises d’un groupement, invocables seulement par le maître d’ouvrage (9 décembre 1977, SA entreprise Drouard frères, n°03899, aux Tables » (3).
Tirant les conséquences de la conciliation de l’effet relatif du contrat avec le cas particulier des intervenants à une opération de travaux publics, la Cour administrative d’appel considère donc, qu’ « en tout état de cause », le bénéfice de l’engagement solidaire n’a d’effet qu’entre les parties contractantes. Une telle stipulation ne peut donc être mobilisée par un tiers sur le terrain de la responsabilité quasi-délictuelle.
En l’espèce, les entrepreneurs se prévalent de retards imputables au groupement de maîtrise d’œuvre dans son ensemble. Les entrepreneurs utilisent la « solidarité » des maîtres d’œuvre pour éviter d’avoir à identifier la responsabilité de chacun des maîtres d’œuvre dans l’apparition de ce retard. Toutefois, la Cour rappelle que cet engagement solidaire a été conclu qu’à l’égard du maître d’ouvrage. Il a donc été conclu dans le seul intérêt des parties et ne peut donc avoir d’effet qu’à leurs seuls profits.
La Cour rappelle ainsi que l’effet relatif du contrat demeure le principe applicable en matière de responsabilité (4). Elle considère donc que le titulaire du marché de travaux ne peut pas rechercher la responsabilité solidaire des membres du groupement de maîtrise d’œuvre.
Ainsi, il lui revient pour l’entrepreneur d’identifier, au sein du groupement, le participant auquel il impute le manquement.
(1) CE, 5 juin 2013, Région Haute Normandie, n°352917
(2) v. par ex. : CE 11 octobre 2021, Société coopérative métropolitaine d’entreprise générale, n° 438872, A
(3) Conclusions LE CORRE sous CE, 11 octobre 2021, précité
(4) Conclusions LE CORRE sous CE, 11 octobre 2021, précité
(5) CE 11 juillet 2011, Mme Gilles, n° 339409, en A
Ce qu'il faut retenir