Le refus par l’acheteur de considérer qu’une prestation constitue une prestation supplémentaire vaut naissance d’un différend  

CAA Paris, 16-10-2024, 23PA04029 , Société Air Alizée

Cet arrêt récent de la cour administrative d’appel de Paris constitue une nouvelle illustration des positions de plus en plus fermes adoptées par les juridictions administratives sur la notion de « différend » entre l’acheteur et le prestataire obligeant ce dernier a formulé une réclamation dans les deux mois sous peine de forclusion. Il ressort de cet arrêt que le simple courrier par lequel l’acheteur refuse de considérer qu’une prestation n’est pas incluse dans le marché faut « différend » faisant partir le délai pour que le prestataire dépose, sous peine de forclusion, une réclamation. Il y a donc « différend » même si les parties n’ont pas encore abordé les questions financières et ont uniquement échangé sur les divergences qui les opposent sur l’interprétation à retenir des clauses contractuelles. 

Dans ce dossier, par un marché conclu en 2020, le centre hospitalier territorial (CHT) Gaston Bourret de Nouvelle-Calédonie a confié à la société Air Alizé, pour une durée de six années, des missions de transports sanitaires par avion dans le cadre des activités du SAMU. 

La société Air Alizé, après avoir estimé dans un courrier du 15 novembre 2021 que les prestations prévues par le marché ne comprenaient pas les prestations d'urgences ambulancières réalisées sans équipe médicale, et avoir, par un courrier du 17 mars 2022, demandé au CHT une révision des prix des prestations du marché à hauteur de 3 % à partir du mois d'avril 2022, lui a, le 7 juillet 2022, fait parvenir un mémoire de réclamation, qui a fait l'objet d'une décision de rejet le 16 août 2022. La société Air Alizé a alors demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie de condamner le CHT à l'indemniser du préjudice qu'elle aurait subi du fait du refus de réviser les prix à hauteur de 3 %, pour un montant de 2 516 828 francs CFP, ainsi que du préjudice qu'elle aurait subi du fait des urgences ambulancières, pour un montant de 26 763 648 francs CFP. 

Elle fait appel du jugement du 13 juillet 2023, par lequel le tribunal administratif a rejeté sa demande. 

Abordant la question des prestations supplémentaires invoquées par la société Air Alizée, la cour a, tout d’abord, rappelé qu’au sens du CCAG – FCS, « l’apparition d’un différend (…) entre le titulaire du marché et l'acheteur, résulte, en principe, d'une prise de position écrite, explicite et non équivoque émanant de l'acheteur et faisant apparaître le désaccord ». On remarquera, tout d’abord, que la cour applique cette définition du « différend » issu du CCAG – FCS de 2021 à l’ensemble des situations, y compris aux litiges qui découlent de marchés soumis à des CCAG – FCS antérieurs (1977 ou 2009) qui ne définissent explicitement la notion de « différend ». 

Il s’agit donc de la première leçon de cet arrêt de la cour administrative d’appel de Paris : le « différend » entre un acheteur et un prestataire de service est, désormais, défini de manière générique. Le juge administratif fait référence à la définition incluse dans le CCAG – FCS de 2021 même si le marché fait référence à un CCAG antérieur. 

Nous comprenons qu’en l’espèce, le marché conclu entre la société Air Alizée et le CHT faisait référence au CCAG – FCS de 1977 qui ne définit pas la notion de « différend » et qui se contente d’indiquer en son article 34 que « tout différend entre le titulaire et la personne responsable du marché doit faire l'objet de la part du titulaire d'un mémoire de réclamation qui doit être communiqué à la personne responsable du marché dans le délai de trente jours compté à partir du jour où le différend est apparu ». 

Mais, la cour va, tout de même, reprendre la définition du « différend » existant dans le CCAG – FCS de 2021 pour rechercher si le CHT a ou non adopté une « position écrite, explicite, et non équivoque (…) faisant apparaître (un) désaccord ». 

Or, et c’’est le grand apport de cet arrêt, le « désaccord » entre l’acheteur et le prestataire peut être uniquement « sémantique » et non encore « indemnitaire », dès los que l’acheteur a pris une « position écrite, explicite et non équivoque » sur son refus de considérer qu’une prestation peut constituer une prestation supplémentaire non prévue au marché. 

C’est ainsi que dans ce dossier, le 15 novembre 2021, la société Air Alizé a indiqué au CHT que les prestations d'urgences ambulancières réalisées sans équipe médicale n'étaient, selon la société, pas comprises dans le périmètre du marché et a proposé de saisir le comité consultatif interrégional de règlement amiable des différends relatifs aux marchés publics pour trancher cette divergence d'interprétation. 

Par courrier en date du 13 décembre 2021, le CHT a indiqué à la société Air Alizé que ces prestations étaient, au contraire, comprises dans le marché. 

Dès lors, pour la cour, et même si le courrier du 15 novembre 2021 de la société Air Alizé ne contenait pas de demande chiffrée, le courrier du 13 décembre 2021 par lequel le CHT refuse de considérer que cette prestation constitue une prestation supplémentaire vaut naissance d’un « différend ». La société Air Alizé disposait alors d’un délai de 30 jours (désormais de 2 mois depuis le CCAG – FCS de 2009) pour notifier au CHT sa réclamation chiffrée sous peine de forclusion. Or, la société Air Alizée n’a fait parvenir sa réclamation que le 7 juillet 2022 au CHT qui l’a rejetée le 16 aout 2022. Dans ce dossier, en faisant une interprétation stricte du CCAG – FCS, la cour considère donc que le « différend » est né le 13 décembre 2021 et non le 16 aout 2022 lors du rejet par le CHT de la réclamation chiffrée déposée par le prestataire. 

Ce qu'il faut retenir

1.
Le refus par l’acheteur de considérer qu’une prestation constitue une prestation supplémentaire constitue une position écrite, explicite et non équivoque de l’acheteur 
2.
Ce refus explicite de l’acheteur fait naître un « différend » au sens du CCAG – FCS 
3.
A compter de ce refus explicite, le prestataire doit déposer une réclamation dans le délai de 2 mois sous peine de forclusion 

À propos de l'auteur

Antoine Alonso Garcia

Inscrit au Barreau de Paris depuis 1999, j'ai créé ma propre structure en 2007.

J’interviens essentiellement dans la conduite de projets publics, tant pour les maîtres d’ouvrage publics (gestion de la passation et de l’exécution des contrats) que pour les entreprises (réponse à appels d’offres, gestion des litiges d’exécution). Cette pratique intensive des projets publics m’a naturellement amené à développer une compétence en matière en droit de la construction (publique et privée) et en droit des assurances.

Maître de conférences pour le cours de droit de l’Ecole des Ponts et Chaussées, j'anime aussi de nombreuses formations en droit de la commande publique et en droit de la responsabilité administrative.

J'ai obtenu en 2020 la mention de spécialisation en droit public

J'ai créé en 2023 le Cabinet CORAL Avocats.


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