Droit d’entrée et résiliation unilatérale d’une délégation de service public

Conseil d'Etat, 31-10-2024, 487995 , Commune de Fontainebleau

Le Conseil d’Etat confirme, dans cet arrêt, que le droit d’entrée ou les redevances initiales versés par un délégataire en début de convention de délégation de service public service peuvent constituer une dépense d’investissement. En cas de résiliation anticipée de la convention, le délégataire a, dans ce cas, le droit d’être indemnisé de la partie non amortie du droit d’entrée. 

Cette solution a été rendue dans le cadre d’un long contentieux opposant la commune de Fontainebleau (département de Seine-et-Marne) et la société auxiliaire de parcs de la région parisienne (SAPP). La commune avait octroyé, en janvier 1996, à la SAPP deux conventions d’affermage d’une durée de vingt-cinq ans portant, d'une part, sur la modernisation et l'exploitation de cinq parcs de stationnement souterrains et sur voirie et, d'autre part, sur la gestion du stationnement sur voirie. En 2012, la commune a décidé de résilier de manière anticipée ces deux conventions en estimant que leurs durées étaient excessives. C’est dans ce cadre qu’est né un contentieux portant à la fois sur le bien-fondé de la décision de résiliation adoptée par la commune et sur le montant de l’indemnité à verser au délégataire dont le contrat a été résilié au bout de 16 années, sur les 25 années prévues initialement. 

En se fondant sur les conclusions d’une expertise judiciaire ordonnée par le tribunal administratif de Melun, le tribunal administratif et la cour administrative d’appel de Paris (4 juillet 2023, req.n°20PA02799) ont considéré que la durée de 25 ans n’était pas excessive au regard des investissements initiaux consentis par le délégataire et du taux de rentabilité attendu sur la durée totale des contrats. Le Conseil d’Etat a, d’ailleurs, confirmé que le droit d’entrée (droit d’obtention du contrat) ou les redevances initiales versées par le délégataire devaient être prises en compte pour déterminer si la durée de la convention de délégation de service public était ou non excessive. Sur ce point, le rapporteur public Monsieur Marc Pinchon de Vendeuil rappelle, d’ailleurs, qu’il « n’y a pas d’obstacle à ce que le juge prenne en compte, pour apprécier le caractère excessif de la durée de la concession, d’éventuelles charges d’exploitation telles que celles qui résulteraient du versement par le délégataire d’une somme correspondant à la mise à disposition d’installations ». 

Restait donc à trancher la question du montant de l’indemnité à verser au délégataire dont les deux contrats ont été résiliés 9 années avant l’échéance contractuelle. Le tribunal, dont la position a été confirmée en appel, a condamné la commune de Fontainebleau à verser à la société SAPP les sommes de 2 480 474 euros, au titre de la valeur nette comptable des investissements non amortis à la date de prise d'effet de la résiliation, et de 2 201 000 euros hors taxes, au titre du manque à gagner pour la période allant de la résiliation des contrats à leur date normale d'échéance. 

Pour aboutir à ce calcul, le tribunal et la cour administrative ont intégré dans le calcul de l’indemnité à verser à la société SAPP le montant de la redevance initiale versée par le délégataire et non amortie à la date de résiliation. 

L’intérêt principal de cet arrêt est donc de savoir si le Conseil d’Etat accepte ou non de considérer que le droit d’entrée ou la redevance initiale versée par le délégataire constitue un investissement. Le Conseil d’Etat va répondre positivement à cette interrogation. Pour aboutir à cette solution, le Conseil d’Etat va suivre un raisonnement en deux temps. 

La haute juridiction administrative va, tout d’abord, rappeler qu’en application de l’article L.1411-2 du code général des collectivités territoriales, « les montants et les modes de calcul des droits d'entrée et des redevances versées par le délégataire à la collectivité délégante doivent être justifiés dans ces conventions ». En s’appuyant sur cette disposition législative, désormais codifiée au code de la commande publique, le Conseil d’Etat considère que toutes les clauses prévoyant un droit d’entrée ou une redevance initiale qui mettent à la charge du délégataire des sommes sans relation avec le service délégué sont illégales (CE, 30 septembre 1996, Société stéphanoise des eaux, req. n° 156.176 et 156.509). Ainsi que le rappelle le rapporteur public dans ses conclusions, il s’en suit que « les dépenses qui s’avèrent utiles à la concession peuvent faire l’objet d’un remboursement en cas de cessation anticiée du contrat. Ce sera donc évidemment le cas des sommes engagés pour la réalisation ou le financement de biens de retour (…) mais aussi (…) des biens de reprises qui seraient cédés à la collectivité. En revanche, ces exigences font obstacles à ce qui puisse être pris en compte le montant d’un droit d’entrée défini discrétionnairement par la collectivité concédante, à son propre bénéfice, sans correspondre à une contrepartie au profit du service public délégué ou de ses usagers ». 

Dès lors que la redevance initiale présente un lien direct avec les biens mis à disposition du délégataire, cette redevance constitue, donc, une dépense d’investissement opéré par le délégataire. Comme toute dépense d’investissement portant sur un bien revenant à la collectivité en fin de contrat, le délégataire a donc droit, sauf le contrat en stipule autrement, à l’indemnisation de la part non amortie du droit d’entrée ou de la redevance initiale versée en début de contrat 

Une fois ce principe arrêté, le Conseil d’Etat va, dans un second temps, valider la position retenue par la cour administrative d’appel de Paris et juger que la redevance initiale versée par le délégataire en début de contrat (20,5 millions de francs) constituait la contrepartie de la mise à disposition de biens qui ont été remis à la collectivité délégante ou repris par celle-ci au terme de la convention. 

Pour le Conseil d’Etat, cette redevance initiale constitue donc bien « une dépense d'investissement pour le délégataire, prise en compte pour évaluer la durée nécessaire pour qu'il puisse couvrir ses charges ». Le délégataire est, par suite, fondé à demander à être indemnisée de la part non amortie de cette somme à la date d'effet de la résiliation. Le recours de la commune de Fontainebleau est, par conséquent, rejeté. 

Ce qu'il faut retenir

1.
La distinction entre « droit d’entrée » et « redevance initiale » repose essentiellement sur le fait que la redevance initiale vise à faire prendre en charge par le délégataire des biens mis à disposition alors que le droit d’entrée a pour objet l’obtention du contrat
2.
Le droit d’entrée ou la redevance initiale versée par le délégataire en contrepartie de la mise à dispositions de biens constitue une dépense d’investissement 
3.
En cas de résiliation anticipée de la convention, le délégataire peut être indemnisé de la part non amortie du droit d’entrée ou de la redevance initiale 
4.
La convention de délégation de service public peut déroger à ce principe d’indemnisation

À propos de l'auteur

Antoine Alonso Garcia

Inscrit au Barreau de Paris depuis 1999, j'ai créé ma propre structure en 2007.

J’interviens essentiellement dans la conduite de projets publics, tant pour les maîtres d’ouvrage publics (gestion de la passation et de l’exécution des contrats) que pour les entreprises (réponse à appels d’offres, gestion des litiges d’exécution). Cette pratique intensive des projets publics m’a naturellement amené à développer une compétence en matière en droit de la construction (publique et privée) et en droit des assurances.

Maître de conférences pour le cours de droit de l’Ecole des Ponts et Chaussées, j'anime aussi de nombreuses formations en droit de la commande publique et en droit de la responsabilité administrative.

J'ai obtenu en 2020 la mention de spécialisation en droit public

J'ai créé en 2023 le Cabinet CORAL Avocats.


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