Le non-respect des plans d’exécution constitue une faute caractérisée de l’entrepreneur

CAA Nantes , 29-11-2024, 23NT01797 , Société Anjou Bâtiment

La réalisation de travaux ne respectant pas les documents d’exécution du marché constitue une « faute caractérisée dans l’exécution du marché » de l’entrepreneur qui peut justifier la résiliation pour faute du marché par le maître d’ouvrage ; tel est l’apport essentiel de cet arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes. 

Le litige portait sur la construction par l’office public de l’habitat (OPH) d’Angers Loire Habitat (département du Maine-et-Loire) de seize logements à Saint Sylvain d’Anjou. Le lot 
n°2 " Terrassement-Gros Œuvre-Ravalement " de ce marché a été confié à la société Anjou Bâtiment, par un acte d'engagement du 5 décembre 2018. Le maître d'œuvre a constaté des vices dans l'exécution de ce lot. Par courrier du 7 février 2020, Angers Loire Habitat a mis la société Anjou Bâtiment en demeure de respecter ses obligations et de mettre fin aux désordres qui lui étaient reprochés, puis par décision du 27 février 2020, a décidé de résilier pour faute le marché aux frais et risques du titulaire. La société Anjou Bâtiment a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner Angers Loire Habitat à lui verser le montant des prestations qu'elle a réalisées dans le cadre du marché et de l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subi du fait de cette décision de résiliation. Elle a fait appel du jugement du 19 avril 2023 par lequel le tribunal a rejeté sa demande. 

Dans ce dossier, la résiliation du marché aux frais et risques du titulaire était motivée par de nombreux manquements et carences reprochés à la société Anjou Bâtiment dans l'exécution de ses obligations contractuelles, malgré des relances et mises en demeure. 

Les principaux reproches du maître d’ouvrage reposaient sur le non-respect par l’entrepreneur des plans d’exécution visés par la maîtrise d’œuvre. Concrètement, le maître d’ouvrage reprochait à l’entrepreneur d’avoir réalisé des travaux qui n’étaient pas conformes aux plans d’exécution visés par la maîtrise d’œuvre. Et la défense de l’entrepreneur était sur ce point assez classique en invoquant le respect des règles de l’art qui primeraient donc sur le respect des plans d’exécution. C’est ainsi que selon la société Anjou Bâtiment, l’entrepreneur ne commettrait pas une faute d’une gravité suffisante justifiant la résiliation pour faute de son marché dès lors que les travaux qu’elle a réalisés respectent les règles de l’art et les DTU (les documents techniques unifiés). Pour le dire autrement, l’entrepreneur ne commettrait pas de faute grave si les travaux qu’il a réalisés méconnaissent les plans d’exécution, mais demeurent conformes aux DTU et aux règles de l’art. 

Telle était la question à laquelle la cour administrative devait apporter une réponse. 

Les débats techniques portaient essentiellement sur deux points. D’une part, le maître d’ouvrage reprochait à l’entrepreneur d’avoir séparé les fondations de six pavillons par un joint de dilatation alors que les plans d'exécution prévoyaient une semelle commune, et ce sans accord ou consultation préalable du maître d'œuvre et du contrôleur technique. D’autre part, le maître d’ouvrage reprochait à l’entrepreneur principal d’avoir réalisé des parpaings de fondation creux alors que les documents d’exécution prévoyaient des parpaings de fondation en semi-plein, toujours sans l’accord ou la consultation de la maîtrise d’œuvre et du contrôleur technique 

Sur le premier point, la société Anjou Bâtiment soutenait que la solution technique qu'elle a mise en œuvre est conforme à l'article 13.1 du document technique unifié (DTU) sur les fondations superficielles, auquel se réfère le CCTP du marché. L’entrepreneur soutenait donc que les travaux réalisés respectaient les « règles de l’art » et que leur conformité avait été validé par le bureau d’étude béton qu’elle avait missionné. L’intégration d’un joint de dilatation non prévue par les plans d’exécution ne constituerait donc pas une faute contractuelle dès lors que ce non-respect n’aboutirait pas à un ouvrage non conforme aux règles de l’art. Si l’on suit le raisonnement de l’entrepreneur, ce dernier pourrait réaliser des travaux ne respectant pas les plans d’exécution dès lors que les travaux réalisés aboutissent, tout de même, à un ouvrage conforme aux règles de l’art, et par voie de conséquence techniquement « recevable ». 

Sur le second point, l’entrepreneur contestait l’argumentaire du maître d’ouvrage en soutenant qu’elle avait fourni et posé des parpaings de résistance B80, qui constitueraient des blocs semi-pleins. L’entrepreneur considérait, donc, que le changement des blocs utilisés n’emportait aucune conséquence dommageable pour le maître de l’ouvrage dès lors que les blocs utilisés et différents de ceux prévus dans les documents d’exécution présentaient une résistance équivalente. 

Pour comprendre la solution retenue par la cour, il convient de rappeler que l’entrepreneur à l’obligation contractuelle de réaliser un ouvrage conforme « aux documents nécessaires à l’exécution qu’il a fait viser par le maître d’œuvre » (article 29.1.5 du CCAG – Travaux). Le principe est donc clair : l’entrepreneur doit exécuter les travaux conformément aux documents d’exécution validés par le maître d’œuvre. S’il souhaite en cours de chantier modifier les modalités d’exécution de ses travaux, il doit se rapprocher de la maîtrise d’œuvre et éventuellement du contrôleur technique pour que ces derniers valident préalablement ces modifications. 

La cour administrative d’appel de Nantes va reprendre ce principe pour juger que l’entrepreneur ne peut pas se dédouaner de cette obligation contractuelle inscrite dans le CCAG – Travaux en soutenant que les travaux réalisés respectant les règles de l’art et/ou les DTU et que, par voue de conséquence, le non-respect des documents d’exécution n’aurait pas de conséquence juridique. 

Sur le premier débat technique, la cour va, ainsi, indiquer que les DTU mis en avant par l’entrepreneur pour justifier la conformité technique des travaux réalisés contiennent des préconisations techniques qui ne prévoient pas qu’il est possible de ne pas respecter les plans d'exécution du marché. La cour en arrive à une conclusion sévère pour l’entrepreneur. Ce dernier n’a pas respecté les plans d'exécution du marché, sans motif impérieux et sans accord ou consultation du maître d'œuvre et du contrôleur technique. Il a ainsi commis une faute caractérisée dans l'exécution du marché. 

La cour arrive à une conclusion identique sur le second débat technique : l’entrepreneur a pris l’initiative de changer la nature des blocs utilisés sans avoir interrogé ou informé au préalable le maitre d’œuvre ou le contrôleur technique de cette modification L’entrepreneur n’a donc pas respecté les documents d'exécution du marché, sans motif impérieux et sans accord ou consultation du maître d'œuvre et du contrôleur technique. Il a ainsi, selon la cour, commis une faute caractérisée dans l'exécution du marché 

Pour caractériser l’éventuelle faute de l’entrepreneur justifiant la résiliation pour faute du contrat, la cour adopte donc une vision contractuelle du dossier et non une vision technique. Toute modification des modalités de réalisation de l’ouvrage par l’entrepreneur doit donc être au préalable validée par la maîtrise d’œuvre. 

Ce qu'il faut retenir

1.
L’entrepreneur doit réaliser un ouvrage conforme aux documents d’exécution validés par le maître d’œuvre 
2.
Toute modification des travaux doit faire l’objet d’une validation par la maîtrise d’œuvre 
3.
L’entrepreneur ne peut pas soutenir que les travaux respectent les règles de l’art ou les DTU pour justifier la réalisation de travaux qui ne respectent pas les documents d’exécution 
4.
La réalisation de travaux qui ne respectent pas les documents d’exécution peut justifier la résiliation pour faute du marché

À propos de l'auteur

Antoine Alonso Garcia

Inscrit au Barreau de Paris depuis 1999, j'ai créé ma propre structure en 2007.

J’interviens essentiellement dans la conduite de projets publics, tant pour les maîtres d’ouvrage publics (gestion de la passation et de l’exécution des contrats) que pour les entreprises (réponse à appels d’offres, gestion des litiges d’exécution). Cette pratique intensive des projets publics m’a naturellement amené à développer une compétence en matière en droit de la construction (publique et privée) et en droit des assurances.

Maître de conférences pour le cours de droit de l’Ecole des Ponts et Chaussées, j'anime aussi de nombreuses formations en droit de la commande publique et en droit de la responsabilité administrative.

J'ai obtenu en 2020 la mention de spécialisation en droit public

J'ai créé en 2023 le Cabinet CORAL Avocats.


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