L’offre d’une équipe de maîtrise d’œuvre qui ne respecte l’enveloppe financière du maître d’ouvrage est irrégulière

CAA de VERSAILLES, 18-12-2024, 22VE02630 , SARL Blond et Roux architectes

L’opération de réhabilitation du centre dramatique national des Amandiers à Nanterre (département des Hauts-de-Seine) a fait l’objet d’un contentieux entre équipes de maîtrise d’œuvre qui a permis à la cour administrative d’appel de Versailles de rappeler une règle sévère (mais logique) à la maîtrise d’ouvrage : l’enveloppe financière annoncée en « phase appel d’offres » doit être respectée par les « maitres d’œuvre – candidats » sous peine de rendre leur offre irrégulière. 

Par un avis publié le 2 août 2017 au BOAMP, la commune de Nanterre a décidé d'engager une procédure de dialogue compétitif en vue de l'attribution d'un marché public de maîtrise d'œuvre pour la réhabilitation et la transformation du centre dramatique national « Nanterre-Amandiers ». Les sociétés Blond et Roux architectes ont constitué un groupement conjoint de maîtrise d’œuvre afin de candidater à cette procédure de dialogue compétitif. Au terme de l'analyse des offres, le groupement piloté par la société Snøhetta Oslo AS a été déclaré attributaire avec 79 points sur 100 et le groupement Blond et Roux architectes a été classé en seconde position avec une note totale de 75 points sur 100. 

Les sociétés composant le groupement Blond et Roux architectes ont, alors, déposé un référé précontractuel qui a été rejeté par une ordonnance du 20 novembre 2018. Elles ont également déposé un recours indemnitaire à l’encontre de la commune de Nanterre afin d’obtenir l’allocation d’une indemnité en réparation des préjudices subis du fait de leur éviction irrégulière. Par jugement du 20 septembre 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande. C’est dans ces conditions que les différentes sociétés composant le groupement Blond et Roux architectes ont fait appel de ce jugement devant la cour administrative d’appel de Versailles afin d’obtenir l’annulation du marché et l’allocation d’une indemnité globale de 671.891 euros. 

Le débat contentieux portait essentiellement sur la possibilité pour un maître d’ouvrage de retenir à l’issue de la dernière phase de négociation, une offre ne respectant pas le budget prévisionnel des travaux indiqué dans le règlement de la consultation. Dans le cas d’espèce, l’article V.3 de l'additif du règlement de dialogue compétitif indiquait explicitement que « le budget prévisionnel d'investissement alloué par le maitre d'ouvrage et ses partenaires à l'ensemble des travaux de réhabilitation et de transformation du centre dramatique national Nanterre-Amandiers est fixé à 28 000 000 d'euros HT maximum (valeur juin 2018). Les candidats devront veiller au strict respect de cette enveloppe pour la remise de leur proposition ». 

La cour va se livrer à une analyse détaillée des offres remises par les candidats pour constater que le groupement Blond et Roux architectes avait remis une offre finale respectant l’enveloppe financière définie dans le règlement de consultation puisqu’il chiffrait le montant des travaux à un montant de 27 553 840 euros. En revanche, à l’issue de la dernière phase de négociation, l'offre finale du groupement Snøhetta était d'un montant supérieur à 28 millions d'euros HT. Pour justifier leur position, le groupement Snøhetta et la commune de Nanterre indiquaient qu’à l’issue du dépôt de l’offre finale, un « travail de concertation et des études de concertation » avaient été menés afin de rentrer dans l'enveloppe de 28 millions d'euros HT. 

La cour devait donc trancher le débat suivant : un acheteur a-t-il la possibilité dans le cadre d’une sorte de « mise au point » du marché de continuer en concertation avec l’attributaire pressenti à adapter l’offre déposée afin de la ramener dans l’enveloppe financière définie dans le règlement de la consultation. Ou à l’inverse, faut-il considérer que l’acheteur et les candidats sont tenus par les offres finales déposées et que la mise au point du marché ne peut porter que sur des demandes de précisions et d’adaptations. En d’autres termes, est-il possible de régulariser une offre irrégulière lors de la mise au point du marché et après dépôt des offres finales. 

Sans surprise, la cour va adopter une lecture formelle des dispositions du code de la commande publique pour considérer que les offres finales des candidats doivent respecter les mentions impératives du règlement de la consultation. Tout comme en procédure adaptée, dans une procédure de dialogue compétitif, il n’est donc pas possible de régulariser une offre finale dans le cadre d’une sorte de mise au point du marché.

Le raisonnement de la cour s’appuie sur les dispositions du code de la commande publique (aujourd’hui article R. 2161-28 du code de la commande publique) qui précisent explicitement que lorsque l’acheteur « estime que le dialogue est arrivé à son terme, (il) en informe les participants restant en lice et les invite à présenter leur offre finale sur la base de la ou des solutions qu’ils ont présentées et spécifiées au cours du dialogue. Il vérifie que les offres finales comprennent tous les éléments requis et nécessaires pour la réalisation du projet ». Le code de la commande publique encadre, ensuite, les échanges qui peuvent avoir lieu entre l’acheteur public et les candidats puisque l’acheteur peut demander des « précisions, clarifications, perfectionnements ou compléments » (article R.2161-29). L’acheteur peut également demander à l’attributaire pressenti de « clarifier des aspects de son offre ou à confirmer les engagements figurant dans celle-ci » (article R. 2161-30). Toutefois, ces deux articles précisent que ces « demandes ne peuvent avoir pour effet de modifier des éléments fondamentaux de l’offre ou des caractéristiques essentielles du marché ». 

La cour en tire la conséquence qu’un acheteur peut admettre au dialogue un candidat qui dépose une offre inappropriée, irrégulière ou inacceptable et ne pas l’éliminer d’emblée. Il doit cependant, à l'issue du dialogue, rejeter sans les classer les offres finales qui sont demeurées inappropriées, irrégulières ou inacceptables. La cour en arrive à la conclusion qu’en raison « de l'impossibilité de négocier après la fin de la dernière phase de négociation, la commune de Nanterre n'avait d'autre choix que de rejeter cette offre ». 

Dit autrement, la procédure de dialogue compétitif permet à un acheteur d’accepter qu’un candidat qui présente une offre dépassant l’enveloppe financière participe au dialogue. Toutefois, à l’issue du dialogue, les candidats doivent avoir déposé une offre finale respectant l’enveloppe financière fixée par l’acheteur. Si tel n’est pas le cas, l’offre finale déposée par le candidat doit être déclarée irrégulière et ne doit pas être classée. 

La cour en arrive donc à la conclusion que l’offre déposée par le groupement Snøhetta aurait dû être déclarée irrégulière et non classée. Le fait de retenir cette offre est à l'origine de l'éviction du groupement Blond et Roux architectes, qui était classé en deuxième position. La cour en conclut qu’il existe un lien direct entre la faute tenant à l'irrégularité commise par la commune de Nanterre dans l'attribution du marché et le manque à gagner subi par les sociétés constituant le groupement Blond et Roux architectes, cette faute les ayant privées d'une chance sérieuse de remporter le contrat. Après examen des pièces comptables versées par les différentes sociétés composant le groupement de maîtrise d’œuvre, la commune de Nanterre est condamnée à verser à ces sociétés une indemnité de 360.433 euros au titre du manque à gagner subi. 

Ce qu'il faut retenir

1.
En procédure de dialogue compétitif, l’offre finale déposée par l’attributaire pressenti doit respecter toutes les mentions obligatoires du DCE 
2.
Une offre finale ne respectant l’enveloppe financière de travaux fixée par le maître d’ouvrage est irrégulière 
3.
L’acheteur commet une irrégularité en retenant une telle offre qui ouvre droit au candidat classé en seconde position d’obtenir l’indemnisation du manque à gagner 

À propos de l'auteur

Antoine Alonso Garcia

Inscrit au Barreau de Paris depuis 1999, j'ai créé ma propre structure en 2007.

J’interviens essentiellement dans la conduite de projets publics, tant pour les maîtres d’ouvrage publics (gestion de la passation et de l’exécution des contrats) que pour les entreprises (réponse à appels d’offres, gestion des litiges d’exécution). Cette pratique intensive des projets publics m’a naturellement amené à développer une compétence en matière en droit de la construction (publique et privée) et en droit des assurances.

Maître de conférences pour le cours de droit de l’Ecole des Ponts et Chaussées, j'anime aussi de nombreuses formations en droit de la commande publique et en droit de la responsabilité administrative.

J'ai obtenu en 2020 la mention de spécialisation en droit public

J'ai créé en 2023 le Cabinet CORAL Avocats.


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