Régime d'indemnisation des prestations supplémentaires réalisées par le sous-traitant agréé 

CAA Nantes , 20-05-2022, 21NT02307

Par un arrêt du 20 mai 2022, la Cour administrative d’appel de Nantes rappelle que le sous-traitant a droit au paiement direct des travaux supplémentaires qu’il a exécutés et indispensables à la réalisation de l’ouvrage, et des sujétions imprévues qui ont bouleversé l’économie générale de son marché. 

En l’espèce, dans le cadre de la réalisation d’un marché de travaux, le maître d’ouvrage a confié à un groupement d’entreprises un lot dénommé « déconstruction - gros œuvre - structure - charpente métallique - façades béton - installations de chantier ». Le maître d’œuvre a par la suite conclu un contrat de sous-traitance d’un montant global et forfaitaire de 74 200 euros, pour une prestation de nettoyage par aéro-gommage de l’ouvrage. La société a été acceptée en qualité de sous-traitante et ses conditions de paiement, incluant un paiement direct par le maitre d'ouvrage, ont été agréées par ce dernier. À la suite d’un contrôle du chantier par l’inspection du travail, la prestation de nettoyage a été réalisée non plus par aéro-gommage, mais par hydro-gommage. Après que le maître d’ouvrage a procédé au dernier paiement direct de la société au titre du contrat de sous-traitance, la société sous-traitante a saisi le juge administratif afin qu’il le condamne au versement de la somme supplémentaire de 40 775 euros en conséquence du surcoût causé par le changement de mode opératoire de nettoyage. La société relève appel du jugement du Tribunal administratif de Caen, qui a rejeté sa demande. 

La CAA de Nantes rappelle tout d’abord qu’en vertu de la loi du 31 décembre 1975, le maître d’ouvrage a l’obligation de payer les prestations réalisées par un sous-traitant accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées. À défaut, le sous-traitant d’un marché public, bénéficie d’une action en paiement direct devant le juge administratif pour obtenir le paiement des sommes qui lui sont dues. 

En principe, le sous-traitant n’a droit qu’au paiement direct des prestations qu’il a exécutées, en application du contrat de sous-traitance, lorsque ses conditions de paiement ont été acceptées par le maître d’ouvrage. 
Il n’a droit au paiement direct de prestations supplémentaires que dans deux hypothèses. 

La première correspond à une modification du contrat de sous-traitance initial qui étend les prestations que le sous-traitant doit réaliser. Dans ce cas, il peut obtenir paiement direct de ces prestations puisqu’elles font partie, à la suite de la modification, du marché. 

La seconde est rappelée par la Cour administrative d’appel de Nancy dans le présent arrêt. En application de la jurisprudence du Conseil d’Etat, « le sous-traitant bénéficiant du paiement direct des prestations sous-traitées a également droit à ce paiement direct pour les travaux supplémentaires qu'il a exécutés et qui ont été indispensables à la réalisation de l'ouvrage, ainsi que pour les dépenses résultant pour lui de sujétions imprévues qui ont bouleversé l'économie générale du marché, dans les mêmes conditions que pour les travaux dont la sous-traitance a été expressément mentionnée dans le marché ou dans l'acte spécial signé par l'entrepreneur principal et par le maître de l'ouvrage » . 

Lorsqu’en-dehors de ces deux hypothèses, le maître d’ouvrage « a connaissance de l'exécution, par le sous-traitant, de prestations excédant celles prévues par l'acte spécial et conduisant au dépassement du montant maximum des sommes à lui verser par paiement direct, [il se doit] de mettre en demeure le titulaire du marché ou le sous-traitant de prendre toute mesure utile pour mettre fin à cette situation ou pour la régulariser, à charge pour le titulaire du marché, le cas échéant, de solliciter la modification de l'exemplaire unique ou du certificat de cessibilité et celle de l'acte spécial afin de tenir compte d'une nouvelle répartition des prestations avec le sous-traitant ». S’il ne le fait pas, l’acheteur engage sa responsabilité pour faute. 

La Cour devait donc vérifier si les difficultés matérielles rencontrées par le sous-traitant pouvaient être qualifiées de sujétions imprévues ou de travaux supplémentaires. 

Il existe des sujétions imprévues en présence de « difficultés matérielles rencontrées lors de l'exécution d'un marché, présentant un caractère exceptionnel, imprévisibles lors de la conclusion du contrat et dont la cause est extérieure aux parties » . 

Toutefois, ces sujétions, pour ouvrir droit au paiement direct du maître d’ouvrage, doivent également avoir bouleversé l’économie générale du contrat. Pour apprécier si un tel bouleversement est caractérisé, le juge doit, comme le rappelle la Cour, « comparer le montant des dépenses résultant de ces sujétions au montant total du marché et non au montant de la partie sous-traitée. » 

A titre d’illustration, des dépenses afférentes à des sujétions imprévues représentant 11,3 % du montant total du marché ne bouleversent pas l’économie générale du contrat . 

En l’espèce, la Cour a jugé que le changement de méthode de nettoyage adoptée par le sous-traitant en cours d’exécution du marché ne revêtait pas les caractéristiques de sujétions imprévues, puisqu’il répond « aux manquements relevés par l'administration du travail aux règles applicables en matière de protection de la santé des personnes présentes sur le chantier par cette société ». 

Elle considère également que le caractère indispensable à la réalisation de l’ouvrage de la nouvelle méthode adoptée n’est pas établi, et qu’il ne s’agit donc pas de travaux supplémentaires dont les sommes peuvent être indemnisées. 

De ce fait, le sous-traitant ne peut se voir indemniser des sommes liées au changement de procédé utilisé. 
Enfin, le juge estime que le maître d’ouvrage n’a pas eu connaissance des prestations supplémentaires réalisées par le sous-traitant, même s’il a reçu « copie de courriels attestant de demandes de paiement complémentaires adressées par » le sous-traitant au maître d’œuvre, « lesquelles sont quasi inhérentes au déroulement d'un chantier. » Par conséquent, la responsabilité pour faute du maître d’ouvrage ne peut être engagée. 

Ce qu'il faut retenir

1.
Le sous-traitant a droit au paiement direct des prestations supplémentaires qu’il a réalisées lorsqu’elles peuvent être qualifiées de travaux supplémentaires indispensables à la réalisation de l’ouvrage, ou des sujétions imprévues qui ont bouleversé l’économie générale du marché ; 
2.
Le bouleversement de l’économie générale du marché que doivent entraîner les sujétions imprévues s’apprécie au regard du montant total du marché et non du montant du contrat de sous-traitance ; 
3.
Les prestations supplémentaires exécutées par le sous-traitant en réponse aux manquements relevés par l'administration du travail aux règles applicables en matière de protection de la santé des personnes présentes sur le chantier ne peuvent être qualifiées de sujétions imprévues. 

À propos de l'auteur

Antoine Alonso Garcia

Inscrit au Barreau de Paris depuis 1999, j'ai créé ma propre structure en 2007.

J’interviens essentiellement dans la conduite de projets publics, tant pour les maîtres d’ouvrage publics (gestion de la passation et de l’exécution des contrats) que pour les entreprises (réponse à appels d’offres, gestion des litiges d’exécution). Cette pratique intensive des projets publics m’a naturellement amené à développer une compétence en matière en droit de la construction (publique et privée) et en droit des assurances.

Maître de conférences pour le cours de droit de l’Ecole des Ponts et Chaussées, j'anime aussi de nombreuses formations en droit de la commande publique et en droit de la responsabilité administrative.

J'ai obtenu en 2020 la mention de spécialisation en droit public

J'ai créé en 2023 le Cabinet CORAL Avocats.


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