Lorsqu’elles sont démontrées, les difficultés budgétaires que le pouvoir adjudicateur connaît peuvent justifier la résiliation unilatérale du marché pour motif d’intérêt généralLorsqu’elles sont démontrées, les difficultés budgétaires que le pouvoir adjudicateur connaît peuvent justifier la résiliation unilatérale du marché pour motif d’intérêt général
Par un arrêt du 23 mai 2022, la Cour administrative d’appel de Marseille juge que le maitre d’ouvrage peut résilier unilatéralement pour motif d’intérêt général un marché public de travaux en raison des difficultés budgétaires qu’il connaît.
En l’espèce, par acte d’engagement du 11 juillet 2012, un centre hospitalier a confié à un groupement dont le mandataire est la société GCC, un marché de travaux d’un montant de 11 917 268,54 euros hors taxes. Le 18 avril 2013, le maître d’ouvrage a informé le groupement de sa volonté de résilier le contrat pour motif d’intérêt général. Le 22 août 2013, la société mandataire a présenté un mémoire de réclamation tendant à la réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi en raison de la résiliation du marché. Par un jugement du 26 septembre 2019 dont la société relève appel, le Tribunal administratif de Toulon a limité le montant des condamnations mises à la charge de l’acheteur public à la somme de 78 085,21 euros taxes comprises.
Dans un premier temps, la Cour administrative d’appel de Marseille se prononce sur le caractère d’intérêt général ou non de la mesure de résiliation. Elle juge que la résiliation prononcée par l’acheteur public est justifiée par un motif d’intérêt général, au regard des éléments de faits suivants :
- - La décision du 2 juillet 2013 de l’agence régionale de santé (ARS) ayant refusé l’état prévisionnel des dépenses et recettes présenté par le centre hospitalier, en raison de son caractère déficitaire ; et ayant rejeté le plan global de financement pluriannuel de l’établissement, ainsi qu’une demande d’autorisation d’emprunt ;
- - Un document du 19 juillet 2013 de l’ARS soulignant que le centre hospitalier avait une capacité d’autofinancement insuffisante et appelant à des mesures de retour à l’équilibre budgétaire.
Le juge administratif considère que ces éléments, bien qu’établis postérieurement à la date de résiliation du contrat, « révèlent la réalité des difficultés financières rencontrées par le centre hospitalier intercommunal avant le 18 avril 2013 ». En présence de telles difficultés, l’acheteur ne pouvait poursuivre l’exécution du contrat. Afin de démontrer le caractère d’intérêt général de la mesure de résiliation, l’acheteur public doit donc produire des éléments objectifs attestant de ses difficultés budgétaires.
L’origine de ces contraintes budgétaires n’est pas prise en compte pour établir leur réalité ou pour caractériser une faute à l’égard du cocontractant. Ainsi, le juge administratif considère que « l'absence d'étude des projets alternatifs à la construction initialement envisagée », ou « la mauvaise estimation de ses capacités financières » par l’acheteur ne remettent pas en cause le caractère d’intérêt général de la mesure.
Cette position est également partagée par la Cour administrative d’appel de Douai qui juge qu’une commune qui « justifie de la baisse de la dotation globale de fonctionnement, constante depuis 2010 mais substantiellement plus importante pour les années 2014 et 2015, de la baisse des bases fiscales entre 2013 et 2014 résultant notamment de la fermeture d'une entreprise sur le territoire de la commune, de l'absence de remboursement d'une avance d'un montant de 1,5 millions d'euros qu'elle a consentie pour la réalisation de la zone d'aménagement concerté de la Haute ville, qui n'a été portée à la connaissance du conseil municipal de la commune qu'en mai 2014, de la situation précaire des finances de la commune révélée notamment par les conclusions d'un audit financier réalisé à sa demande par un cabinet extérieur en novembre 2014, ainsi que du fait qu'elle a été contrainte, pour les mêmes motifs, d'abandonner un projet de construction de logements sociaux par une délibération du 19 décembre 2014, entraînant la résiliation de la convention qu'elle avait conclue à cette fin avec l'office public de l'habitat du département de la Seine-Maritime », établit la réalité des difficultés financières qu'elle rencontre .
Dans un second temps, la Cour administrative d’appel de Marseille se prononce sur l’indemnité à laquelle le cocontractant a droit en conséquence de la résiliation. Le juge administratif considère en effet qu’ « en vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs, la personne publique peut toujours, pour un motif d'intérêt général, résilier un contrat, sous réserve des droits à indemnité du cocontractant. L'étendue et les modalités de cette indemnisation peuvent être déterminées par les stipulations du contrat, sous réserve qu'il n'en résulte pas, au détriment d'une personne publique, une disproportion manifeste entre l'indemnité ainsi fixée et le montant du préjudice résultant, pour le cocontractant, des dépenses qu'il a exposées et du gain dont il a été privé. Ce principe, découlant de l'interdiction faite aux personnes publiques de consentir des libéralités, ne s'appliquant pas aux personnes privées, rien ne s'oppose en revanche à ce que ces stipulations prévoient une indemnisation inférieure au montant du préjudice subi par le cocontractant privé de l'administration » .
Le cocontractant a ainsi droit à l’indemnité de résiliation du contrat, ainsi qu’à l’ « indemnisation de l’ensemble des frais, investissements et dépenses supportés en vue de l’exécution du marché et n'ayant pu recevoir de contrepartie du fait de la résiliation du marché », en vertu de l’article 46-4 du CCAG Travaux.
En l’espèce, les clauses administratives particulières du marché prévoient une indemnité forfaitaire contractuelle qui correspond à 5% du montant initial moins les prestations réalisées, montant non remis en cause par le cocontractant, soit en l’espèce la somme de 543 589,62 euros.
- Les difficultés budgétaires que connaît l’acheteur public constituent un motif d’intérêt général de résiliation du contrat lorsqu’elles font obstacle à son exécution, à condition que leur réalité soit étayée par un ensemble d’éléments objectifs ;
La méthode de calcul de l’indemnité forfaitaire choisie en l’espèce est judicieuse au regard du montant du marché de travaux, puisqu’elle n’a pas dissuadé la personne publique de faire usage de son pouvoir unilatéral de résiliation. De plus, elle permet de ne pas laisser à l’appréciation du juge le montant des sommes mises à la charge de l’acheteur en conséquence du prononcé de la mesure de résiliation.
La Cour, qui ne remet pas non plus en cause le montant de cette indemnité, juge de ce fait que la société ne peut être indemnisée de son manque à gagner au-delà de la somme forfaitaire de 543 589,62 euros.