Attention au délai qu’accorde un prestataire à une collectivité pour qu’elle règle des factures impayées 

CAA Bordeaux, 18-12-2024, 22BX03031 , SAS Vago

Cet arrêt constitue une nouvelle illustration des « pièges » qu’un prestataire doit éviter lorsqu’il réclame le paiement à une collectivité de factures impayées. C’est l’article 37.2 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de fournitures courantes et de services (CCAG-FCS) approuvé par l'arrêté du 19 janvier 2009 qui fixe la procédure que doit suivre le prestataire. Ce dispositif est aujourd’hui repris et précisé par l’article 46 du CCAG – FCS issu de l’arrêté du 30 mars 2021. Pour schématiser, cet article prévoit que le titulaire d’un marché de service, confronter à des factures impayées, doit adresser à la collectivité un mémoire en réclamation dans un délai de deux mois à compter du jour où le différend est apparu, et ce sous peine de forclusion. 

Tout le débat porte donc sur l’identification du jour où est apparu le différend qui fait donc partir le délai de deux mois pour que le prestataire adresse, sous peine de forclusion, à la collectivité son mémoire en réclamation. 

Le CCAG – FCS a essayé de résoudre cette difficulté en indiquant que l’apparition d’un différend entre le titulaire du marché et l'acheteur, résulte, en principe, d'une prise de position écrite, explicite et non équivoque émanant de l'acheteur et faisant apparaître le désaccord. Elle peut également résulter du silence gardé par l'acheteur à la suite d'une mise en demeure adressée par le titulaire du marché l'invitant à prendre position sur le désaccord dans un certain délai. 

Le « commentaire officiel » du ministère qui accompagne cet article précise qu’en « l'absence d'une telle mise en demeure, la seule circonstance qu'une personne publique ne s'acquitte pas, en temps utile, des factures qui lui sont adressées, sans refuser explicitement de les honorer, ne suffit pas à caractériser l'existence d'un différend ». 

Il résulte donc de ce dispositif que confronté à une absence de paiement de ses factures, un prestataire doit donc suivre la procédure suivante : 
- il doit, dans un premier temps, mettre en demeure l’acheteur de procéder au paiement des factures impayées car le simple non-paiement d’une facture ne suffit pas à caractériser un différend ; 
- si l’acheteur ne répond pas à la mise en demeure que lui adresse le prestataire, ce silence vaut apparition d’un différend qui fait donc démarrer le délai de deux mois pour que le prestataire adresse à l’acheteur un mémoire en réclamation ; 
- si l’acheteur ne rejette pas explicitement (dans le délai de deux mois) ou tacitement le mémoire en réclamation, le prestataire doit saisir le tribunal administratif dans un délai de deux mois. 

Confronté à une collectivité publique qui ne respecte pas les délais réglementaires de paiement des factures, le prestataire doit donc, sous peine de forclusion, suivre un parcours d’obstacle en quatre étapes :1- dépôt de la facture sur chorus ; 2- mise en demeure de payer adressée à l’acheteur ; 3- mémoire en réclamation adressée à l’acheteur au plus tard 2 mois après la date d’échéance prévue dans la mise en demeure ; 4 – saisine du tribunal administratif au plus tard dans le délai de 2 mois suivant le rejet du mémoire en réclamation. 

Dans cette espèce, la société VAGO a « presque » tout bien fait. Elle réclamait, ainsi, à la communauté de communes Médullienne (département de la Gironde) le paiement de factures impayées à hauteur de 37.787,88 euros au titre de prestations réalisées dans le cadre d’un marché portant sur la gestion des aires d'accueil des gens du voyage. La société a, ainsi, adressé à la communauté de commune une mise en demeure le 17 février 2020, réceptionnée le lendemain, dans laquelle elle réclamait le paiement des factures dans un délai de huit jours en précisant qu'à défaut de respecter ce délai, la collectivité s'exposait à la mise en œuvre d'une procédure de recouvrement et au paiement d'intérêts moratoires. 

Par courrier en date du 27 février 2020, et donc après expiration du délai de 8 jours, la communauté de communes a annoncé à la société Vago avoir pris en compte la mise en demeure reçue le 18 février 2020 et lui apporter une réponse dans un délai de quinze jours. 

La communauté de communes n’ayant pas procédé au règlement des factures, la société Vago a adressé à la collectivité un mémoire en réclamation intitulée « mise en demeure de payer » le 29 avril 2020. Faute de paiement des factures, la société Vago a donc saisi le tribunal administratif de Bordeaux. 

En première instance et en appel, la collectivité soutenait que la demande de la société Vago était irrecevable car elle n’avait pas déposé dans le délai de deux mois le mémoire en réclamation suivant la naissance d’un différend. 

Tout le débat portait donc sur la date à retenir pour caractériser la naissance du différend. Deux positions s’opposaient. 

La collectivité soutenait que la mise en demeure reçue le 18 février 2020 lui octroyait un délai de 8 jours pour payer les factures impayées. Faute de paiement des factures dans ce délai de 8 jours, le différend serait donc né le 26 janvier 2020. Pour la collectivité, la société devait donc lui adresser un mémoire en réclamation au plus tard le 26 mars 2020. La société ayant adressé son mémoire en réclamation le 29 avril, son recours serait donc irrecevable. 

A l’inverse, la société soutenait que la collectivité avait répondu à la mise en demeure le 27 février 2020 en s’engageant à revenir vers la société sous quinzaine. La collectivité n’ayant pas respecté son engagement, le différend serait né le 13 mars 2020. La société disposait donc d’un délai de 2 mois pour déposer son mémoire en réclamation, soit jusqu’au 13 mai 2020, délai qu’elle a respecté puisque le mémoire a été transmis à la collectivité le 29 avril. 

La cour va trancher le débat en validant la position défendue par la collectivité. La cour considère, en effet, en adoptant une lecture littérale du CCAG – FCS que la société est tenue par le délai qu’elle octroie à la collectivité pour régler les factures impayées. Le différend naît donc à l’expiration du délai indiqué dans la mise en demeure et ce même si la collectivité répond à la mise en demeure sans toutefois procéder au règlement des factures. La cour rejette donc la demande de la société pour irrecevabilité des conclusions tendant au paiement des cinq factures en litige. 

Ce qu'il faut retenir

1.
En cas de factures impayées, la société doit adresser à la collectivité une mise en demeure de payer 
2.
Cette mise en demeure doit octroyer à la collectivité un délai pour s’exécuter ; délai qui ne peut, désormais, être inférieur à quinze jours (article 46 CCAG – FCS) 
3.
Si la collectivité ne procède pas au règlement des factures dans le délai fixé par la mise en demeure, le différend naît à l’expiration de ce délai 
4.
La société doit, sous peine d’irrecevabilité de sa demande, déposer un mémoire en réclamation dans les deux mois suivant l’expiration du délai fixé dans la mise en demeure

À propos de l'auteur

Antoine Alonso Garcia

Inscrit au Barreau de Paris depuis 1999, j'ai créé ma propre structure en 2007.

J’interviens essentiellement dans la conduite de projets publics, tant pour les maîtres d’ouvrage publics (gestion de la passation et de l’exécution des contrats) que pour les entreprises (réponse à appels d’offres, gestion des litiges d’exécution). Cette pratique intensive des projets publics m’a naturellement amené à développer une compétence en matière en droit de la construction (publique et privée) et en droit des assurances.

Maître de conférences pour le cours de droit de l’Ecole des Ponts et Chaussées, j'anime aussi de nombreuses formations en droit de la commande publique et en droit de la responsabilité administrative.

J'ai obtenu en 2020 la mention de spécialisation en droit public

J'ai créé en 2023 le Cabinet CORAL Avocats.


Rechercher des articles dans la même thématique :