Premières condamnations de maîtres d’ouvrage ayant commandé par mail des travaux supplémentaires

CAA Paris, 16-05-2025, 23PA03909 , Société les Ateliers de Reims

- lFaisant application des principes dégagés par le Conseil d’Etat dans l’arrêt « Société Eiffage Construction Sud-Est » (CE 17 mars 2025, req. n° 491.682), la Cour administrative d’appel de Paris condamne le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), maître d’ouvrage de l’opération, à payer à un entrepreneur les travaux supplémentaires demandés par courriel et ayant « reçu le visa conforme du maîatre d’œuvre » (point 15 de l’arrêt). 

Par marché de 2017, le CNC a confié à la société Les ateliers de Reims l'exécution des travaux du lot n° 8 du marché portant sur l'agencement intérieur de l'ensemble immobilier sis 291, boulevard Raspail à Paris destiné à accueillir le nouveau siège de l’établissement public. Après une réception partielle du seul bâtiment A, une réception des bâtiments A, B et C a finalement été prononcée le 14 septembre 2018, avec réserves et sous réserves. Un procès-verbal de levée des réserves a été établi, le 8 mars 2019, par le maître d'œuvre, que la société Les ateliers de Reims a refusé de signer. Par un courrier du 16 avril 2019, le CNC a décidé de résilier le marché dont était attributaire la société Les ateliers de Reims, à ses frais et risques. Par un mémoire en réclamation du 20 mai 2019, la société Les ateliers de Reims a contesté la résiliation du marché et demandé le versement d'une somme en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à raison de cette résiliation qu'elle considère comme fautive. Par une décision du 21 juin 2019, le CNC a rejeté ce mémoire. Par un jugement du 27 juin 2023, le tribunal administratif de Paris a condamné le CNC à verser à la société Les Ateliers de Reims la somme de 107 841,30 euros correspondant au solde du marché. La société Les ateliers de Reims relève appel de ce jugement en tant qu'il a limité la condamnation du CNC à la somme de 107 841,30 euros alors qu’elle réclamait une somme de 653 728,30 euros. 

Comme dans tout dossier d’exécution, la Cour va se livrer à une analyse minutieuse des faits du dossier pour établir le solde du marché. Avant d’aborder la question des travaux supplémentaires commandés par courriel qui constitue, à mon sens, l’intérêt premier de cet arrêt, il sera remarqué les points suivants : 

-la Cour valide le caractère non disproportionné des pénalités prononcés par le CNC pour le retard pris par la société pour procéder à la levée des réserves. Les pénalités se chiffrent à un montant de 120 039,17 euros pour 156 jours de retard (soit 15,6 % du montant du marché). Un maître d’ouvrage peut, donc, prononcer des pénalités conséquentes contre un prestataire qui ne fait pas le nécessaire pour obtenir la levée des réserves alors que le bâtiment est réceptionné et vraisemblablement en fonctionnement ; 

- le fait que de nombreux ordres de services aient été émis en cours de chantier et que des nombreuses demandes de modification des prestations ou de travaux supplémentaires ont été adressées au titulaire ne permettent pas d’établir que l'allongement et la désorganisation du chantier auraient pour origine une faute du maître d'ouvrage ; 

- la prise de possession anticipée du bâtiment A et la nécessité d'intervenir en site occupé qui en a résulté, a été rendue nécessaire par l'important retard affectant la réalisation des travaux, alors le CNC ne disposait plus d'autres locaux pour l'exercice de son activité de service public dont la continuité devait être assurée. La décision de prononcer la réception partielle d’une partie du bâtiment ne constitue donc pas une faute du maître d’ouvrage, et ce d’autant plus que le maître d’ouvrage a confié une mission d’OPC à la maîtrise d’œuvre. 

Demeurait la question des travaux supplémentaires. Et sur ce point, l’arrêt de la CAA de Paris doit être mis en avant car il constitue un des premiers arrêts dans lequel le juge administratif condamne un maître d’ouvrage pour des travaux supplémentaires commandés par courriel. 

La Cour fait, ici, application de la solution dégagée par le Conseil d’Etat dans l’arrêt du 17 mars 2025 (Société Eiffage Construction Sud-Est, req. n° 491.682). Nous rappellerons que, dans cet arrêt, la haute juridiction administrative a fixé l’état du droit en matière de travaux supplémentaires en indiquant que « lorsque le titulaire d'un marché public de travaux conclu à prix global et forfaitaire exécute des travaux supplémentaires à la demande, y compris verbale, du maître d'ouvrage ou du maître d'œuvre, il a droit au paiement de ces travaux, quand bien même la demande qui lui en a été faite n'a pas pris la forme d'un ordre de service notifié conformément à ce que prévoient en principe les stipulations du cahier des clauses administratives générales ». L’entrepreneur a donc le droit au paiement de travaux supplémentaires s’il démontre que ces travaux lui ont été commandés par le maître d’ouvrage ou par le maître d’œuvre, et ce même si cette demande n’a pas pris la forme d’un ordre de service, ainsi que l’exige, pourtant, le CCAG – Travaux. 

Appliquant ce principe au dossier, la Cour va, ainsi, reconnaître que la société Les Ateliers de Reims a droit au paiement de travaux supplémentaires d’un montant de 7 251,02 euros HT pour la modification de la quantité des espaces détente (point 15 de l’arrêt). Pour obtenir gain de cause sur ce point, la société Les Ateliers de Reims a justifié que « ces travaux ont été demandés, par un courriel du 9 janvier 2018 du CNC qui a confirmé la modification demandée des agencements dans les espaces de détente aveugle côté nord ». La Cour constate, de plus, que les « plans modifiés des espaces de détente ont reçu le visa conforme du maître d'œuvre ».

Concernant cette prestation supplémentaire, la Cour valide donc la qualification de travaux supplémentaires en se fondant sur deux éléments factuels : une demande formulée par courriel par le maître d’ouvrage et validée par le maître d’œuvre par le biais d’un visa sur le plan fourni par l’entrepreneur. 
La Cour valide, également, un second devis présenté par l’entrepreneur au titre de travaux supplémentaires. La société réclamait une rémunération complémentaire de 7 632,64 euros HT pour une prestation de placage de portes ; prestation qui aurait dû être réalisé par la société titulaire du lot n°7 « Menuiseries intérieures ». La Cour valide la demande de rémunération complémentaire de l’entrepreneur en se contentant d’indiquer que « cette prestation (…) lui a été demandée par le maître d'œuvre ». Conformément à la position assez ouverte du Conseil d’Etat, la Cour valide la possibilité pour l’entrepreneur d’obtenir le paiement de travaux supplémentaires en démontrant uniquement que c’est le maître d’œuvre qui lui a commandé cette prestation, sans qu’il soit besoin de démontrer l’accord du maître d’ouvrage sur cette prestation complémentaire. 

Ce qu'il faut retenir

1.
Les prestations supplémentaires commandées par courriel par le maître d’ouvrage et validées par le maître d’œuvre par le biais d’un visa sur le plan remis constituent des travaux supplémentaires ouvrant droit à rémunération complémentaire ; 
2.
Les prestations supplémentaires commandées par le maître d’œuvre constituent des travaux supplémentaires ouvrant droit à rémunération complémentaire 

À propos de l'auteur

Antoine Alonso Garcia

Inscrit au Barreau de Paris depuis 1999, j'ai créé ma propre structure en 2007.

J’interviens essentiellement dans la conduite de projets publics, tant pour les maîtres d’ouvrage publics (gestion de la passation et de l’exécution des contrats) que pour les entreprises (réponse à appels d’offres, gestion des litiges d’exécution). Cette pratique intensive des projets publics m’a naturellement amené à développer une compétence en matière en droit de la construction (publique et privée) et en droit des assurances.

Maître de conférences pour le cours de droit de l’Ecole des Ponts et Chaussées, j'anime aussi de nombreuses formations en droit de la commande publique et en droit de la responsabilité administrative.

J'ai obtenu en 2020 la mention de spécialisation en droit public

J'ai créé en 2023 le Cabinet CORAL Avocats.


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