Indemnisation des dommages de travaux publics et vétusté
CAA Nancy, 29-06-2022, 19NC00038
En l’espèce, dans le cadre d’une opération de travaux de réfection des toitures d’un lycée, un incendie s’est déclaré durant les travaux d’étanchéité, détruisant l’intégralité de la toiture du lycée. La région Alsace et son assureur de la région Alsace ont demandé au juge de condamner in solidum l’entreprise attributaire du lot « réfection intégrale des toitures » ainsi que son sous-traitant, la société mandataire du groupement momentané d’entreprises solidaires qui exerçait la maîtrise d’œuvre, et la société chargée de la mission de coordination en matière de sécurité et de protection de la santé des travailleurs. La société chargée de la mission de CSPS relève appel du jugement de première instance en tant qu’il l’a condamné solidairement avec la société attributaire du lot à verser les sommes de 452 277,93 euros à l’assureur et 33 031,26 euros à la région Alsace. Par la voie de l’appel provoqué, l’entreprise sous-traitante conteste l’évaluation du préjudice faite par les premiers juges.
La CAA de Nancy, pour faire droit à la demande de l’entreprise sous-traitante et diminuer le montant de l’indemnisation, applique un abattement de 20% à la somme fixée par les premiers juges en raison du caractère vétuste du bâtiment.
Elle rappelle que « la vétusté d'un bâtiment peut donner lieu, lorsque la responsabilité contractuelle ou décennale des entrepreneurs et architectes est recherchée à l'occasion de désordres survenus sur un bâtiment, à un abattement affectant l'indemnité allouée au titre de la réparation des désordres » (CE, 25 nov. 2021, n°442977).
En effet, lors de la détermination du montant du préjudice subi par le maître d’ouvrage, le juge se doit de prendre en compte la vétusté du bâtiment touché par les désordres afin que le maître d’ouvrage ne bénéficie pas d’un enrichissement sans cause (CE, 2 févr. 1973, Trannoy : Lebon, p. 95). Le montant de l’indemnisation doit être strictement limité à la réparation du préjudice causé par le débiteur, qui ne doit pas supporter le poids du défaut d’entretien du bâtiment.
Cette jurisprudence ancienne s’applique aussi bien dans le cadre de la responsabilité contractuelle que dans celui de la garantie décennale.
Pour apprécier s’il y a lieu ou non de faire application de l’abattement pour vétusté au cas d’espèce, le juge administratif doit tenir compte « de la nature et des caractéristiques de l'ouvrage ainsi que de l'usage qui en est fait ». La vétusté s’apprécie à la date d’apparition des désordres (CAA de NANTES, 1er juil. 2022, n°21NT03284).
Ainsi, la vétusté d’un bâtiment et la plus-value que représentent les travaux de reprise sont appréciées différemment selon que :
Il n’y a donc pas de cas de figure ou de situations de principe dans lesquels le juge doit faire application de l’abattement. Il exerce un contrôle in concreto à chaque fois, en se fondant sur un faisceau d’indices relatif aux caractéristiques particulières du bien. À titre d’illustration, le Conseil d’État a considéré que le fait qu’un bâtiment revête le caractère de monument historique était seulement un critère d’appréciation parmi d’autres pour savoir s’il fallait faire jouer ou non l’abattement (CE, 25 nov. 2021, n°442977).
En l’espèce, la CAA de Nancy juge qu’il n’y a pas lieu d’appliquer l’abattement de vétusté au coût des travaux relatifs à la toiture, car les travaux ayant causé les désordres avaient précisément pour objet de réparer cette toiture. Il n’y a donc pas d’enrichissement sans cause du maître d’ouvrage puisqu’il a conclu un contrat ayant précisément pour objet la réparation de la toiture.
En revanche, s’agissant des travaux hors toiture visant à rénover le bâtiment touché par l’incendie, le juge estime qu’il y a lieu d’appliquer l’abattement. La Cour ne détaille pas les critères l’ayant conduit à considérer que le bâtiment était vétuste et à fixer le montant de l’abattement à 20%. Il est toutefois possible de déduire de ce raisonnement que le juge a considéré que le bâtiment faisant l’objet des travaux de rénovation acquerrait une valeur économique supérieure à celle qu’il avait avant l’incendie, cette plus-value justifiant l’application de l’abattement.
En l’absence de critères jurisprudentiels permettant de savoir si un bâtiment est ou non vétuste, et de méthode de calcul du pourcentage d’abattement appliqué, le constructeur ou maître d’œuvre qui doit indemniser le maître d’ouvrage a tout intérêt à mettre en avant le caractère vétuste du bâtiment concerné par les désordres pour obtenir la diminution du montant de l’indemnité due.
Ce qu'il faut retenir