Le maître d'ouvrage peut inscrire au décompte général du marché de maîtrise d'oeuvre le cout des travaux supplémentaires causés par une faute de conception 

CAA Lyon, 20-10-2022, 20LY02007

Par un arrêt du 20 octobre 2022, la Cour administrative d’appel de Lyon a confirmé que peut être inscrit au débit du décompte général du marché de maîtrise d’œuvre, le coût des travaux supplémentaires causés par une faute de conception commise par le maître d’œuvre.  
En l’espèce, la métropole de Lyon a conclu un marché de maîtrise d’œuvre pour la construction d’une station d’épuration avec un groupement composé de deux sociétés. Les marchés de travaux ont été attribués à un groupement de quatre entreprises. Ces travaux ont été réceptionnés par la métropole le 26 février 2008. Elle a toutefois formulé des réserves durant le délai d’épreuve, prolongeant ainsi la garantie de parfait achèvement.
Saisi par les entreprises cotraitantes, le tribunal administratif de Lyon, par un jugement du 8 décembre 2016 devenu définitif, a arrêté le décompte général et définitif de chacun de leurs lots, et a condamné la métropole de Lyon à leur verser le solde restant dû. Le jugement imputait par ailleurs certaines malfaçons à des erreurs de conception.
Le 13 juin 2018, la métropole de Lyon a notifié à la société Naldeo, membre du groupement de maîtrise d’œuvre, le décompte général du marché de maîtrise d’œuvre, mettant à sa charge les sommes de 125 000 euros et de 139 766,89 euros correspondant respectivement à la reprise de l'isolation phonique et du processus épuratoire de l'ouvrage. Par un jugement du 31 mars 2020, le tribunal administratif de Lyon, saisi par la société Naldon en contestation du décompte, l'a déclarée redevable envers la métropole de Lyon de 125 000 euros correspondant à la reprise des malfaçons affectant l'isolation phonique. La société a interjeté appel du jugement, et demandait à la Cour de retirer cette somme du débit du décompte. La métropole demandait à titre incident l’annulation du jugement, en ce qu’il a refusé d’imputer au débit du décompte la somme de 139 766,89 euros. 
La CAA de Lyon confirme la solution retenue par le tribunal en appliquant la jurisprudence développée par le Conseil d’État en matière de faute commise par le maître d’œuvre dans la conception de l’ouvrage.
En vertu du principe de l’unicité de la réception portant sur un ouvrage, celle-ci met fin aux relations contractuelles de chacun des marchés, de travaux comme de maîtrise d'œuvre, passés pour sa réalisation (CE, sect., 6 avr. 2007, Centre hospitalier de Boulogne-sur-mer, n° 264490).
Elle vaut ainsi « pour tous les participants à l'opération de travaux, même si elle n'est prononcée qu'à l'égard de l'entrepreneur ». La réception de l'ouvrage emporte donc « réception de l'ensemble des prestations de maîtrise d'œuvre, y compris celles relatives à la conception de l'ouvrage » (G. PELLISSIER, conclusions sur CE, 2 déc. 2019, Sté Guervilly, Puig Pujol Architecture et Bâti Structure Ouest, n° 423544). 
La réception est toutefois, « par elle-même, sans effet sur les droits et obligations financiers nés de l'exécution du marché, à raison notamment de retards ou de travaux supplémentaires, dont la détermination intervient définitivement lors de l'établissement du solde du décompte définitif ». Seule « l'intervention du décompte général et définitif du marché a pour conséquence d'interdire au maître de l'ouvrage toute réclamation à cet égard » (CE, 2 déc. 2019, Sté Guervilly, Puig Pujol Architecture et Bâti Structure Ouest, n° 423544).
Dès lors que des travaux supplémentaires ont été exécutés avant la réception de l’ouvrage et qu’ils ont été indispensables à la réalisation de l’ouvrage dans les règles de l’art, le décompte du marché fixe les droits et obligations financiers afférents à ces travaux.
S’agissant de la répartition du coût de ces travaux supplémentaires, en principe, « l'entrepreneur a le droit d'être indemnisé du coût des travaux supplémentaires indispensables à la réalisation d'un ouvrage dans les règles de l'art », ou conforme aux stipulations du marché, la charge définitive de cette indemnisation incombant alors au maître d’ouvrage (CE, sect., 17 oct. 1975, Cne de Canari, n° 93704).
Par exception, le maître d’ouvrage n’a pas à supporter cette charge lorsque le maître d’œuvre a commis une faute, et peut lui en demander réparation dans deux cas de figure (CE, 20 déc. 2017, Cté d'agglomération du Grand Troyes, n°401747) :
- D’une part, « lorsque la nécessité de procéder à ces travaux n'est apparue que postérieurement à la passation du marché, en raison d'une mauvaise évaluation initiale par le maître d'œuvre, et qu'il établit qu'il aurait renoncé à son projet de construction ou modifié celui-ci s'il en avait été avisé en temps utile » ;
- D’autre part, « lorsque, en raison d'une faute du maître d'œuvre dans la conception de l'ouvrage ou dans le suivi de travaux, le montant de l'ensemble des travaux qui ont été indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art est supérieur au coût qui aurait dû être celui de l'ouvrage si le maître d'œuvre n'avait commis aucune faute, à hauteur de la différence entre ces deux montants ».
Cette charge, qui constitue « une créance contractuelle, née de l'exécution du marché de maîtrise d'œuvre, doit être inscrite dans le décompte de ce marché. » .Quand bien même le décompte général du marché serait devenu définitif, cette circonstance ne fait pas obstacle à la recevabilité de conclusions d’appel en garantie du maître d’ouvrage sur le fondement d’une telle créance contractuelle.
En l’espèce, la métropole de Lyon a imputé au débit du décompte le coût de la reprise des malfaçons affectant d’une part l’isolation phonique, et d’autre part le processus épuratoire de l'ouvrage.
S’agissant des malfaçons affectant l’isolation phonique, la CAA constate que le maître d’oeuvre dans l’établissement des documents du marché, n’a pas assez été précise dans les indications apportées aux entreprises cotraitantes et relatives au traitement acoustique.
Elle juge par conséquent, que la société n’a pas rempli sa mission de conception de l’ouvrage telle que définie dans le marché de maîtrise d’œuvre. Par conséquent, « le maître de l'ouvrage était fondé à inscrire au débit de son décompte le coût des travaux indispensables à la réalisation d'un ouvrage conforme aux stipulations du marché ».
S’agissant des malfaçons affectant le processus épuratoire de l'ouvrage, le juge administratif indique que la mission du maître d’œuvre ne comportait pas « la vérification de la validité des données prévisionnelles fournies par le maître de l'ouvrage », et qu’elle n’est pas responsable de la non-conformité des effluents effectivement reçus par la station. En l’absence de faute dans la conception de l’ouvrage commise par le maître d’œuvre, le coût de ces travaux supplémentaires ne peut être inscrit au débit du décompte général. 
La CAA relève enfin que la métropole aurait pu rechercher la responsabilité contractuelle de la personne chargée de la mission normalisée « Plans d'exécution », puisqu’elle avait émis des réserves concernant ces malfaçons. Or, cette mission n’incombait pas à la société appelante. 

Ce qu'il faut retenir

1.
La réception de l’ouvrage emporte réception des prestations relatives à la conception de l’ouvrage par le maître d’œuvre, mais ne fait pas obstacle à ce que le coût des travaux supplémentaires, trouvant leur origine dans une faute commise lors de la conception, soit inscrit au solde du décompte définitif du marché de maîtrise d’œuvre 
2.
Lorsqu’une faute a été commise lors de la conception de l’ouvrage ou le suivi des travaux, le coût des travaux supplémentaires est supporté par le maître d’œuvre, et non par le maître d’ouvrage :   • Lorsque ces travaux ont été indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art ; • Lorsque ces travaux ont été indispensables à la réalisation de l'ouvrage d’un ouvrage conforme aux stipulations du marché.

À propos de l'auteur

Antoine Alonso Garcia

Inscrit au Barreau de Paris depuis 1999, j'ai créé ma propre structure en 2007.

J’interviens essentiellement dans la conduite de projets publics, tant pour les maîtres d’ouvrage publics (gestion de la passation et de l’exécution des contrats) que pour les entreprises (réponse à appels d’offres, gestion des litiges d’exécution). Cette pratique intensive des projets publics m’a naturellement amené à développer une compétence en matière en droit de la construction (publique et privée) et en droit des assurances.

Maître de conférences pour le cours de droit de l’Ecole des Ponts et Chaussées, j'anime aussi de nombreuses formations en droit de la commande publique et en droit de la responsabilité administrative.

J'ai obtenu en 2020 la mention de spécialisation en droit public

J'ai créé en 2023 le Cabinet CORAL Avocats.


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