Une entreprise peut obtenir la condamnation solidaire du maître d’ouvrage et du maître d’œuvre sur des fondements juridiques différents

CAA Lyon, 08-12-2022, 21LY00560

Par un arrêt du 8 décembre 2022, la Cour administrative d’appel de Lyon rappelle les conditions dans lesquelles un des acteurs de la construction peut rechercher la condamnation solidaire des autres acteurs responsables du dommage à l’origine de son préjudice, ainsi que le point de départ du délai de paiement du solde du marché.
En l’espèce, le titulaire du lot n°1 « Gros œuvre » pour la construction d’un équipement sportif, a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner solidairement la commune, maître d’ouvrage, et le maître d’œuvre à l’indemniser du préjudice subi du fait des retards relatifs à la transmission des plans d'exécution du lot. 
D’une part, le juge administratif fait, par la présente décision, application du principe de la responsabilité solidaire de tous les acteurs, privés ou publics, de la construction.
En effet, dans le cadre d’un contentieux relatif au règlement d’un marché de travaux publics, le titulaire du marché peut rechercher :
- La responsabilité contractuelle du maître d’ouvrage ; 
- La responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à l’opération de construction, dès lors qu’ils ne sont pas liés par un contrat de droit privé.
La CAA rappelle, reprenant une jurisprudence du Conseil d’État, que « lorsque l'une des parties à un marché de travaux a subi un préjudice imputable à la fois à l'autre partie, en raison d'un manquement à ses obligations contractuelles, et à d'autres intervenants à l'acte de construire, au titre de fautes quasi-délictuelles, elle peut demander au juge de prononcer la condamnation solidaire de l'autre partie avec les coauteurs des dommages. » (CE, 27 juin 2018, Sté Valode Et Pistre et autres, n° 409608).
Ainsi, la victime d’un dommage causé par la faute de plusieurs acteurs de la construction peut rechercher leur condamnation solidaire, quand bien même leur responsabilité serait recherchée sur des fondements différents, contractuels et quasi-délictuels (CE, 26 nov. 1975, Ville de Joinville, n° 90252 ; CE, 3 mars 1982, Syndicat intercommunal Lyon Saint-Fons-Vénissieux et autre, n° 19218).
Le juge prononcera alors la condamnation solidaire des auteurs du dommage, à mesure de la responsabilité de chacun dans la survenance de la faute. 
Toutefois, cette possibilité d’obtenir la condamnation solidaire des autres acteurs de la construction connaît plusieurs limites. 
Tout d’abord, lorsque les auteurs du dommage sont des acteurs de la construction avec lesquels la victime n’est liée par aucun contrat, ceux-ci ne peuvent être condamnés solidairement que si chacun a contribué par sa faute à l’entier dommage.
Ensuite, ils « ne peuvent être rendus solidairement débiteurs de sommes correspondant à des préjudices qui ne leur sont aucunement imputables » et « de sommes figurant dans le décompte général ne présentant pas de caractère indemnitaire ». 
À titre d’illustration, ne présentent pas de caractère indemnitaire les sommes correspondant à des travaux réalisés par la victime mais non encore payés par le maître d’ouvrage, ou les conséquences de révisions de prix. En revanche, les sommes correspondant aux préjudices subis par le maître d’ouvrage par la faute de l’entreprise et réciproquement présentent un caractère indemnitaire. 
En l’espère, la CAA relève que les préjudices résultants des retards dans la transmission des plans d’exécution au titulaire du lot ont pour seule origine une faute commise par le maître d’œuvre, et non par le maître d’ouvrage. 
Par conséquent, le titulaire n’est pas fondé à obtenir la condamnation solidaire de la commune, sur un fondement contractuel, à l’indemniser des préjudices résultant de ces retards. En revanche, il est fondé à obtenir la condamnation sur un fondement quasi-délictuel, du maître d’œuvre.
D’autre part, la CAA se prononce sur le point de départ du délai de paiement du solde du marché. 
L’article 2 du décret n° 2013-269 du 29 mars 2013 relatif à la lutte contre les retards de paiement dispose que « le délai de paiement court à compter de la date de réception par le maître de l'ouvrage du décompte général et définitif établi dans les conditions fixées par le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ». 
En vertu de l’article 13.4.2 du CCAG Travaux dans sa version issue de l’arrêté du 8 septembre 2009, le titulaire du marché peut mettre en demeure le maître d'ouvrage de lui transmettre le décompte général signé si le maître d'ouvrage ne l'a pas fait dans les délais. À défaut de notification au titulaire du décompte général signé par le représentant du pouvoir adjudicateur dans un délai de trente jours à compter de la réception de cette mise en demeure, le titulaire peut saisir le tribunal administratif compétent en cas de désaccord.
La CAA juge en l’espèce qu’en l’absence de notification au titulaire du décompte général signé par le maître d’ouvrage dans le délai de trente jours imparti, le point de départ du délai de paiement commence à courir à compter d'un délai de trente jours à compter de la réception de cette mise en demeure par le maître d'ouvrage. 
Ainsi, l’entrepreneur ayant mis en demeure la commune d’établir le décompte par courrier reçu le 7 septembre 2018, il avait droit au paiement à compter du 6 novembre 2018.

Ce qu'il faut retenir

1.
La victime, acteur de la construction, peut obtenir la condamnation solidaire des auteurs du dommage également acteurs de la construction, responsables sur des fondements contractuels et/ou quasi-délictuels, 
2.
En l’absence de projet de décompte général notifié à l’entrepreneur, et en l’absence de transmission à l’entrepreneur du décompte signé dans les trente jours suivant une mise en demeure, le point de départ du délai de paiement du solde du marché court à compter d’un délai de trente jours à compter de la mise en demeure. 

À propos de l'auteur

Antoine Alonso Garcia

Inscrit au Barreau de Paris depuis 1999, j'ai créé ma propre structure en 2007.

J’interviens essentiellement dans la conduite de projets publics, tant pour les maîtres d’ouvrage publics (gestion de la passation et de l’exécution des contrats) que pour les entreprises (réponse à appels d’offres, gestion des litiges d’exécution). Cette pratique intensive des projets publics m’a naturellement amené à développer une compétence en matière en droit de la construction (publique et privée) et en droit des assurances.

Maître de conférences pour le cours de droit de l’Ecole des Ponts et Chaussées, j'anime aussi de nombreuses formations en droit de la commande publique et en droit de la responsabilité administrative.

J'ai obtenu en 2020 la mention de spécialisation en droit public

J'ai créé en 2023 le Cabinet CORAL Avocats.