Le caractère excessif des pénalités de retard s’apprécie par rapport au montant du bon de commande  

TA Bordeaux , 03-05-2023, n°2101983

Par un jugement du 3 mai 2023, le tribunal administratif de Bordeaux vient apporter des précisions sur le caractère abusif des pénalités de retard appliquées au titulaire d’un accord-cadre à bon de commande. Autre élément non négligeable, le juge reconnait que l’épidémie du Covid-19 peut, sur le principe, constituer un évènement présentant le cas de force majeure.

En l’espèce, la société Ginger BTP était chargée de l’exécution de l’accord-cadre correspondant au lot n°2 « contrôle de matériaux et d’ouvrages » de la commande portant sur des études géotechniques et des contrôles de matériaux et d’ouvrages, dont le montant est de 4.149 euros HT. Après l’expiration du délai d’exécution du bon de commande, la société a été informée, par ordre de service, de la décision du président de Bordeaux Métropole, de lui appliquer des pénalités correspondant aux 78 jours de retard pris dans l’exécution d’un bon de commande. En ce sens, un titre exécutoire a été émis quelques mois plus tard pour un montant de 19.617, 32 euros.

Cette situation conduit la société Ginger BTP à saisir le tribunal administratif de Bordeaux d’une demande tendant à l’annulation dudit titre exécutoire et la décharge de la somme demandée, à titre principal, ainsi que la modulation des pénalités mises à sa charge, à titre subsidiaire.

Tout d’abord, le tribunal nous éclaire sur la possibilité d’invoquer l’épidémie de COVID-19 comme cas de force majeure. Pour ce faire, les contraintes liées à l’épidémie Covid-19 doivent avoir eu une incidence notable sur l’activité exercée par le titulaire d’un marché. Il incombe d’ailleurs à celui-ci de démontrer que les contraintes rencontrées « rendaient impossible la réalisation des prestations intellectuelles ». Rien d’étonnant eu égard à la traditionnelle jurisprudence du Conseil d’État en matière de force majeure (CE, 30 mars 1916, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux, n°59928). 

Il faut donc en déduire que l’épidémie Covid-19 peut constituer un cas de force majeure. Toutefois, le juge en fait une appréciation plus sévère dès lors qu’il s’agit de prestations intellectuelles qui, contrairement, aux travaux étaient plus facilement réalisables à compter du 2ème trimestre de l’année 2020. 

Ainsi, les arrêts maladies fréquents de 5 employés sur une équipe de 18 personnes, dont se prévaut la société requérante, ne peuvent constituer un évènement insurmontable sur la période du 11 mars au 25 août 2020 et donc présenter le caractère de force majeure. 

Après avoir écarté la possible annulation des pénalités de retard, le tribunal se prononce sur leur modulation. Il incombe au juge d’apprécier le caractère manifestement excessif  des pénalités de retard lorsque l’une des parties l’y invite : « Si, lorsqu’il est saisi d’un litige entre les parties à un marché public, le juge du contrat doit, en principe, appliquer les clauses relatives aux pénalités dont sont convenues les parties en signant le contrat, il peut, à titre exceptionnel, saisi de conclusions en ce sens par une partie, modérer ou augmenter les pénalités de retard résultant du contrat si elles atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire, eu égard au montant du marché et compte tenu de l’ampleur du retard constaté dans l’exécution des prestations ».

Ainsi, pour le tribunal, compte tenu des pratiques observées dans les marchés de prestations intellectuelles comparables, la clause prévoyant une pénalité fixée à 5,0% du montant de la commande en cours d’exécution par jour de retard n’est pas habituelle et est donc excessive. 

Par ailleurs, le caractère manifestement excessif du montant des pénalités de retard doit être apprécié au regard des seules prestations prévues dans le bon de commande. Ainsi, les pénalités de retard représentant près de quatre fois le montant du bon de commande en litige présentent un caractère manifestement excessif. 

Enfin, le tribunal reconnait l’irrégularité du titre exécutoire en litige en ce qu’il ne fait pas mention des noms, prénoms et qualité de la personne l’ayant émis. Dès lors, le titre exécutoire a été pris en méconnaissance de l’article L. 1617-5 du Code général des collectivités territoriales. 

Par conséquent, le tribunal a fait droit à la demande de la société requérante en prononçant l’annulation du titre exécutoire, la décharge partielle de l’obligation de payer la somme de 18 580,07 euros et le rabaissement des pénalités de retard à un montant de 1 037, 25 euros. 

Ce qu'il faut retenir

1.
Le titre de recettes ne portant pas mention des noms, prénoms et qualité de la personne l’ayant émis est irrégulier ;
2.
Le caractère manifestement excessif du montant des pénalités de retard doit être apprécié au regard des prestations dont l’exécution est requise par le bon de commande en litige, et non du montant des prestations, objet de l’accord cadre du litige ;
3.
Les pénalités de retard présentent un caractère manifestement excessif lorsqu’elles excèdent 25% du montant HT du bon de commande en litige ; 
4.
En cas de prestations intellectuelles, l’épidémie du COVID-19 ne constitue un cas de force majeure que si elle rend impossible la réalisation desdites prestations intellectuelles. 

À propos de l'auteur

Antoine Alonso Garcia

Inscrit au Barreau de Paris depuis 1999, j'ai créé ma propre structure en 2007.

J’interviens essentiellement dans la conduite de projets publics, tant pour les maîtres d’ouvrage publics (gestion de la passation et de l’exécution des contrats) que pour les entreprises (réponse à appels d’offres, gestion des litiges d’exécution). Cette pratique intensive des projets publics m’a naturellement amené à développer une compétence en matière en droit de la construction (publique et privée) et en droit des assurances.

Maître de conférences pour le cours de droit de l’Ecole des Ponts et Chaussées, j'anime aussi de nombreuses formations en droit de la commande publique et en droit de la responsabilité administrative.

J'ai obtenu en 2020 la mention de spécialisation en droit public

J'ai créé en 2023 le Cabinet CORAL Avocats.


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