Est sous-traitante l’entreprise qui livre des biens qui ne peuvent pas être commercialisés en dehors du marché sous-traité
Conseil d'État, 17-10-2023, n°465913 , Commune de Viry-Châtillon
En l’espèce, un marché public de travaux a été conclu entre la commune de Viry-Châtillon et la société S3C Construction en vue de la réhabilitation de trois écoles maternelles. Pour ce faire, le titulaire du marché a confié à la société Maugin la fabrication de menuiseries pour un montant de 147 178, 08 euros HT, en paiement direct par le maitre d’ouvrage.
Par un acte modificatif, le titulaire du marché a réduit le montant des sommes à verser à la société Maugin. Par un courrier du 3 février 2014, cette dernière a refusé le bien-fondé de ces moins-values et a adressé une demande de paiement d’un montant de 34 913, 79 euros HT. Cette demande a été refusée par le titulaire dans un courrier du 24 février 2014.
Par la suite, la société Maugin a fini par accepter partiellement le bien-fondé de certaines moins-values et a transmis une seconde demande de paiement d’un montant de 23 090, 09 euros HT à la société S3C Construction, le 9 avril 2014. Sans réponse, la société Maugin a usé de son droit au paiement direct par le pouvoir adjudicateur en sollicitant la commune de Viry-Châtillon pour le paiement de cette somme le 12 mai 2014.
Après le rejet de sa demande, la société Maugin a saisi le tribunal administratif de Melun d’une demande tendant à la condamnation de la commune à lui verser les sommes réclamées. Rejetée en 1ère instance puis jugée recevable en 2nd instance, la commune de Viry-Châtillon se pourvoit en cassation contre la décision de la cour administrative d’appel de Versailles la condamnant.
Dans un premier temps, le Conseil d’Etat va vérifier si l’entreprise Maugin qui a donc fourni les menuiseries du projet peut ou non revendiquer le statut de sous-traitant.
Sans surprise, le Conseil d’Etat rappelle que les dispositions sur la sous-traitance étant d’ordre public, le juge n’est pas tenu par les qualifications retenues par les parties. Concrètement, ce n’est pas parce que le maître d’ouvrage a accepté une entreprise en qualité de sous-traitante et a agréé ces conditions de paiement, que cette dernière peut revendiquer le statut de sous-traitant ayant droit au paiement direct. Le juge et le maître d’ouvrage peuvent donc revenir sur cette qualification s’ils estiment que la société sous-traitante qui revendique ce statut ne constitue dans les faits une entreprise sous-traitante (CE, 26 septembre 2007 – Département du Gard, n°255993).
Une fois ce principe rappelé, le Conseil d’Etat va préciser sa jurisprudence traditionnelle pour vérifier si la société Maugin peut ou non, dans ce dossier, revendiquer le statut de sous-traitant. Pour ce faire, le Conseil d’Etat indique que « des biens présentant des spécificités destinées à satisfaire des exigences particulières d'un marché déterminé ne peuvent être regardés (…) comme de simples fournitures ». Dans ses conclusions, le rapporteur public ajoute que ces biens spécifiques ne peuvent « pas être commercialisés en dehors du cadre de ce marché » puisqu’ils ont été conçus seulement dans le but de répondre aux besoins du marché en question.
Ainsi, la définition du sous-traitant s’entend comme celui qui se voit confier par le titulaire, et sous sa responsabilité, une part de l’exécution du marché en effectuant des prestations de fourniture qui répondent directement aux exigences techniques imposées par le cahier des clauses techniques et particulières.
Le critère matériel de qualification d’un sous-traitant est donc précisé. Constitue un sous-traitant, le prestataire qui participe directement à l’exécution des travaux ou des services, objet du marché. À la différence du sous-traitant, le fournisseur intervient dans le cadre de l’exécution des marchés de travaux ou de services, en apportant les biens nécessaires à l’exécution des travaux ou des services, mais il n’exécute pas lui-même le marché.
En l’espèce, la société Maugin avait fourni des menuiseries présentant des spécifications techniques déterminées conformément au cahier des clauses techniques et particulières et fabriquées spécialement pour les besoins du marché. Elle est d’ailleurs intervenue sur le chantier pour participer à leur pose.
Au regard de ces éléments, le Conseil d’Etat considère que c’est à bon droit que la cour administrative d’appel de Versailles a jugé que le contrat liant la société Maugin avec la société S3C Construction présentait le caractère de sous-traitance. Dès lors, ladite société dispose d’un droit au paiement direct au sens de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance.
Dans un second temps, les juges des 7ème et 2ème chambres réunies apportent des précisions sur le régime du droit au paiement direct du sous-traitant.
Aux termes de l’article 116 du Code des marchés publics, désormais inscrit aux articles R. 2193-11 et suivants du Code de la commande publique, le sous-traitant doit adresser sa demande de paiement directement au titulaire du marché. Ce dernier doit alors soit accepter, soit signifier un refus motivé dans un délai de quinze jours à compter de la réception de la demande de paiement.
Si l’entrepreneur principal garde le silence pendant ce délai de quinze jours, « il doit, faute d'avoir formulé un tel refus dans ce délai, être regardé comme ayant accepté définitivement la demande de paiement. Dès lors, le refus qu'il exprimerait après l'expiration du délai de quinze jours ne saurait constituer un refus motivé, au sens de ces dispositions ».
Après l’acception de la demande de paiement, qu’elle soit tacite ou expresse, le sous-traitant est en mesure de se prévaloir de son droit au paiement direct auprès du maitre d’ouvrage.
En l’espèce, la société Maugin a adressé deux demandes de paiement à la société S3C Construction. La première demande de paiement du 3 février 2014 d’un montant de 34 913,79 euros HT a fait l’objet d’un refus dans le délai imparti. Or, la seconde demande de paiement du 9 avril 2014 portait sur un montant différent puisque la société Maugin avait accepté partiellement le bien fondé des moins-values. Quand bien même les factures avaient le même objet, elles ne portaient pas sur le même montant. La société S3C Construction devait alors adresser un courrier de refus motivé pour chacune de ces demandes de paiement. Autrement dit, le refus de la première demande de paiement est sans incidence sur la deuxième alors même qu’elles ont le même objet. Dès lors, la demande de paiement en date du 9 avril 2014 est réputée comme définitivement et surtout tacitement acceptée par le titulaire du marché.
C’est donc injustement que la commune de Viry-Châtillon a rejeté le droit au paiement direct du sous-traitant au motif que le titulaire du marché a refusé la demande de paiement du 3 février 2014.
La requête de la commune est donc rejetée par les 7ème et 2ème chambres réunies du Conseil d’État.
Ce qu'il faut retenir