Le titulaire d’un bail commercial conclu auprès d’une collectivité publique demeure une victime de dommages de travaux publics lorsque cette collectivité réalise aux alentours du local loué des travaux publics. Telle est la position adoptée par la troisième chambre Civile de la Cour de Cassation dans le cadre d’un litige opposant la Ville de Paris au tenancier du fameux café « le Zimmer » jouxtant le théâtre du Châtelet.
Dans ce dossier, la Ville de Paris avait consenti le 1er avril 2018 le renouvellement d’un bail commercial à la société « Zimmer Châtelet » pour que ce dernier poursuive son activité de brasserie et de bar. Ces locaux, objets du bail commercial, sont mitoyens du théâtre du Châtelet, propriété également de la Ville de Paris.
Or d’importants travaux de rénovation du théâtre du Châtelet ont été entrepris par la Ville de Paris entre 2017 et 2019. Cette situation a conduit la société « Zimmer Châtelet » à assigner la Ville de Paris devant le tribunal judiciaire de Paris. La société a, ainsi, recherché la responsabilité contractuelle de la Ville de Paris sur le fondement de l’article 1719 du code civil pour voir sanctionner la violation par la collectivité de son obligation d’assurer au preneur une jouissance paisible du local loué et obtenir réparation du préjudice de jouissance subi (perte d’exploitation, perte de valeur du fonds de commerce, droits de voierie improductifs).
La Ville de Paris a, alors, soulevé l’incompétence de la juridiction judiciaire pour soutenir que l’instance engagée par la société « Zimmer Châtelet » relève de la compétence du juge administratif. Pour ce faire, la collectivité rappelle qu’elle est à l’initiative des travaux de rénovation du théâtre et que ces travaux qu’il convient de qualifier de publics concernent uniquement le théâtre. La Ville n’a, ainsi, entrepris aucuns travaux dans le fonds de commerce loué à la société. Dès lors, pour la collectivité, la société « Zimmer – Châtelet », bien que titulaire d’un bail commercial conclu avec la Ville, ne pouvait revendiquer que le statut de victime de dommages de travaux publics et ne pouvait pas rechercher la responsabilité contractuelle de la collectivité devant le juge judiciaire.
La Cour d’Appel de Paris dans un arrêt en date du 19 octobre 2022 (RG n°22/07667) a rejeté la position défendue par la collectivité. Elle a, ainsi, jugé que la Ville de Paris présente une double qualité (co-contractant du bail commercial et maître d’ouvrage des travaux publics à l’origine des troubles). Toutefois, en dépit de cette double qualité, pour la Cour d’Appel, le « sort du dossier » dépend avant tout de savoir si la collectivité a commis ou non une faute en sa qualité de bailleur en portant atteinte au droit du preneur de jouir paisiblement du local loué.
Saisi par la Ville de Paris, la Cour de cassation va censurer ce raisonnement de la Cour d’Appel de Paris. Pour la Cour de cassation, la solution à donner à cette question de compétence dépend, avant tout, du fait générateur du sinistre.
Deux situations sont, en effet, envisageables. Le trouble de jouissance peut trouver son fait générateur dans les travaux publics réalisés par la collectivité dans les alentours du bien loué. Dans cette hypothèse, la victime, bien que preneur à un bail commercial, demeure une victime de dommages de travaux publics dont le préjudice sera examiné selon les règles de droit public par le juge administratif. Le trouble de jouissance peut résulter, au contraire, non pas des travaux publics réalisés par la collectivité mais d’un élément extérieur aux travaux publics réalisés. Dans cette hypothèse, la victime doit se voir reconnaître le statut de preneur à un bail commercial dont le bailleur ne respecte pas les obligations contractuelles. Le juge judiciaire est alors compétent pour connaître de cette demande.
Pour la Cour de cassation, la responsabilité contractuelle ne l’emporte donc pas automatiquement sur la responsabilité pour dommages des travaux publics. Il faut donc rechercher le fait générateur du sinistre pour déterminer le juge compétent et surtout le droit qui s’applique.
Dans ce dossier, le Cour de Cassation renvoie le dossier à la Cour d’Appel pour que cette dernière mette en œuvre la « grille de lecture » qu’elle vient d’établir.
Il est fort probable que la position soutenue par la Ville soit reconnue par la Cour d’Appel. En effet, dans ce dossier, le préjudice de jouissance subi par le titulaire du bail commercial semble, avant tout, découler des travaux publics réalisés par la collectivité dans le théâtre. Dans ce cas, la demande indemnitaire présentée par la société « Zimmer -Châtelet » peut se compliquer. Certes, elle va bénéficier d’un régime de responsabilité sans faute. Mais, il lui faudra démontrer que son préjudice est « spécial et anormal », affronter la sévérité du juge administratif sur la démonstration d’un lien causal direct et certain entre les préjudices subis et les travaux publics. Et, nul doute que la Ville rappellera que les travaux de rénovation ont démarré en 2017 et que le preneur a commis une « imprudence blâmable » en acceptant le renouvellement du bail commercial avec ces conditions économiques alors qu’il savait que la Ville réalisait d’importants travaux de rénovation dans le théâtre jouxtant la brasserie.