L’obligation de conseil du maître d’œuvre s’étend, même après la réception des travaux, au vice affectant la conception de l’ouvrage.
CAA Toulouse, 01-10-2024, 22TL22406 , Commune de Labège
La cour administrative d’appel de Toulouse met, ici, en œuvre les principes dégagés récemment par le Conseil d’Etat dans son arrêt « OPH Domanys » (22 décembre 2023, req. n° 472.699) éclairé par les conclusions du rapporteur public Labrune.
Dans ce dossier, la commune de Labège (Haute-Garonne) a confié à un groupement de maîtrise d'œuvre composé de M. B... C..., architecte, et de la société Beterem ingénierie, aux droits de laquelle vient la société TPF Ingénierie, la conception et le suivi d’une l'opération de rénovation de son église construite au 19ième siècle, située au cœur de son centre historique. La réception des travaux est intervenue sans réserve le 27 septembre 2010. Quelques années après la réception de l'ouvrage, la commune a constaté l'apparition d'un phénomène de cloques et de décollements de la peinture sur les murs intérieurs de l'église. La commune a, alors, lancé une procédure d’expertise judiciaire en juin 2016. L’expert judiciaire a rendu son rapport en septembre 2018 et a considéré que les désordres résultaient, avant tout, d’une erreur de conception imputable à l’équipe de maîtrise d’œuvre.
La commune a alors saisi le tribunal administratif de Nîmes afin d’obtenir la condamnation solidaire a de M. C... et de la société TPF Ingénierie à lui verser la somme de 447 021 euros toutes taxes comprises correspond au montant des travaux réparatoires. Le tribunal ayant rejeté sa demande, la commune a relevé appel de ce jugement devant la cour administrative d’appel de Toulouse.
En reprenant les principes dégagés par le Conseil d’Etat, dans son arrêt OPH Domanys, la cour va en grande partie faire droit aux prétentions de la Commune et condamner in solidum les deux maîtres d’œuvre à lui verser une somme de 372.517 euros.
Pour ce faire, la cour va reprendre les conclusions de l’expertise judiciaire en indiquant que le caractère incomplet de la méthodologie mise en en œuvre par la maîtrise d'œuvre est à l'origine d'un vice initial dans la conception du marché dont le maître d'œuvre aurait pu avoir connaissance s'il avait respecté les règles de l'art de sa profession. Plus précisément, la cour estime qu’en n'effectuant pas un diagnostic de l'humidité affectant l'église communale qui s'imposait au stade des opérations préalables à la conception des travaux de rénovation de ce bâtiment ancien, la maîtrise d'œuvre n'a pas accompli sa mission dans le respect des règles de l'art dont elle aurait dû avoir connaissance. Ce manquement a eu pour conséquence que les entrepreneurs sont intervenus sans connaître la problématique posée par l'importante humidité affectant les structures anciennes de l'ouvrage, laquelle aurait pu être traitée, comme le relève l'expert, en prévoyant un lot supplémentaire dédié à l'assèchement des murs de l'édifice.
L’erreur de conception de l’équipe de maîtrise d’œuvre est donc, pour la cour, caractérisée.
Mais les travaux ont été réceptionnés par la Commune et les réserves ont été levées.
Or, le principe demeure que le maître d’ouvrage ne peut plus rechercher la responsabilité contractuelle du maître d’œuvre à raison d’un vice de conception après la réception des travaux (CE, Société Guervilly et autres du 2 décembre 2019, req. n° 423544).
Si l’on applique ce principe au cas d’espèce, la Commune ne peut pas rechercher la responsabilité du maître d’œuvre, même si cette dernière a commis une erreur de conception, puisque les travaux ont été réceptionnés.
Toutefois, la cour, pour admettre la mise en cause de la responsabilité contractuelle de l’équipe de maîtrise d’œuvre, va mettre en œuvre la solution dégagée par le Conseil d’Etat dans son arrêt « OPH Domanys ». Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat a, en effet, reconnu que la réception des travaux ne s’oppose à l’engagement de la responsabilité du maître d’œuvre dès lors que ce dernier a méconnu son devoir de conseil lorsqu’il doit accompagner le maître d’ouvrage dans la réception des travaux.
Et son obligation de conseil lors de l’assistance à la réception porte également sur les problématiques de conception. Concrètement, cela signifie que lors des opérations de réception, le maître d’œuvre, en sa qualité « d’homme de l’art » doit conseiller à la collectivité de ne pas réceptionner un ouvrage comportant des vices, y compris quand ces vices résultent d’un vice de conception imputable au maître d’œuvre lui-même. C’est une jurisprudence légèrement schizophrénique pour la maîtrise d’œuvre, car elle la conduit a dénoncé un fait qui lui est imputable. Mais, si elle ne fait pas, la maîtrise d’œuvre méconnaît son obligation de conseil.
Cette jurisprudence fournit donc une sorte de seconde chance au maître d’ouvrage. Même après la réception des travaux, la collectivité peut donc aller rechercher la responsabilité contractuelle du maître d’œuvre pour des erreurs de conception. Pour schématiser, il appartiendra au maître d’ouvrage de faire une démonstration en deux temps. Dans un premier temps, le maître d’ouvrage devra démontrer que le maître d’œuvre aurait dû avoir connaissance en cours de chantier de l’erreur de conception affectant l’ouvrage. Puis, dans un second temps, le maître de l’ouvrage devra démontrer que le maître d’œuvre qui aurait donc dû avoir connaissance de cette erreur de conception, n’a pas recommandé à la collectivité de ne pas réceptionner l’ouvrage ou de le réceptionner avec réserves.
Ce qu'il faut retenir