En délégation de service public, le caractère excessif d’une pénalité contractuelle s’apprécie au regard de la recette attendue pendant l’intégralité du contrat

CAA Lyon , 06-03-2025, 23LY01401 , Société People et Baby

Les jurisprudences relatives à la modulation des pénalités contractuelles en délégation de service public sont rares. Cet arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon est intéressant à ce titre. 

Comme le rappelle la lettre du présent arrêt, les pénalités prévues par les clauses d'un contrat de la commande publique ont pour objet de réparer forfaitairement le préjudice qu'est susceptible de causer à l'acheteur le non-respect, par son cocontractant, de ses obligations contractuelles.

Traditionnellement, le juge administratif est respectueux de la lettre des contrats et s’abstient de s’immiscer dans la relation contractuelle. C’est pourquoi pendant longtemps, le juge administratif s’interdisait de réviser le montant des clauses pénales dans la mesure où « il n'appartient pas au juge administratif de modifier les clauses d'un contrat librement accepté par les parties » (13 mai 1987, Société Citra-France et autres, n°s 35374-50006-50065). En particulier, l'alinéa 2 de l'ancien article 1152 du code civil (aujourd'hui 1231-5) qui autorise le juge, même d'office, à moduler le montant des pénalités contractuelles manifestement excessives ou dérisoires était inapplicable devant les juridictions administratives. Au nom de la recherche d'un équilibre contractuel, le Conseil d'État a modifié sa position dans l'arrêt OPHLM de Puteaux. Dans cette décision, le Conseil d'Etat a reconnu au juge administratif le pouvoir de moduler les pénalités de retard dues par l'entrepreneur au maître d'ouvrage, « par application des principes dont s'inspire l'article 1152 du code civil, si ces pénalités atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire eu égard au montant du marché » (CE 29 déc. 2008, n° 296930, OPHLM de Puteaux, Lebon).

Dans un arrêt de juillet 2017, le Conseil d'État insiste sur le caractère exceptionnel d’une telle modulation, et précise les éléments devant être pris en compte par le juge du contrat pour la modulation des pénalités contractuelles prévues par les stipulations d'un marché public (CE, 19 juill. 2017, n° 392707). Le Conseil d’Etat précise ainsi que le caractère excessif ou dérisoire des pénalités s’apprécie « eu égard au montant du marché et compte tenu de l'ampleur du retard constaté dans l'exécution des prestations. ». Le Conseil d’État ajoute que « lorsque le titulaire du marché saisit le juge de conclusions tendant à ce qu'il modère les pénalités mises à sa charge, il ne saurait utilement soutenir que le pouvoir adjudicateur n'a subi aucun préjudice ou que le préjudice qu'il a subi est inférieur au montant des pénalités mises à sa charge. » soulignant la fonction essentiellement comminatoire de ces clauses, et non pas réparatrice. Ainsi, il appartient au titulaire du marché, « de fournir aux juges tous éléments, relatifs notamment aux pratiques observées pour des marchés comparables ou aux caractéristiques particulières du marché en litige, de nature à établir dans quelle mesure ces pénalités présentent selon lui un caractère manifestement excessif. ». L’arrêt commenté s’inscrit dans le cadre de cette jurisprudence, dont elle fait application pour les délégations de service public. 

En l’espèce, la commune de l’Horme (département de la Loire) a confié à la société People and Baby une délégation de service public d'un équipement d'accueil de jeunes enfants. La convention de délégation de service public prévoyait l’obligation pour le délégataire de produire chaque année un compte rendu de l'année passée comportant notamment un compte rendu technique et un compte rendu financier, ce dernier devant être certifié par un commissaire aux comptes. La convention prévoyait des pénalités en cas de retard ou de non-production de ce compte rendu : une pénalité de 150 euros par jour de retard (en cas de retard) ainsi qu’une pénalité égale à 10.000 euros par semaine écoulée jusqu'à la production des documents (en cas de non- production du compte rendu), le tout à compter du jour de la réception de la mise en demeure. 

La société People and Baby a adressé le compte rendu annuel de l'année 2019 dans les délais, mais en omettant de le faire certifier par un commissaire au compte. Le document certifié, identique au document initial, a finalement été produit plusieurs semaines plus tard. Le 9 juillet 2021, le Maire de l'Horme a émis un titre exécutoire rendant la société People and Baby débitrice d’une somme de 100 000 euros correspondant à la liquidation de pénalités contractuelles sanctionnant l'absence de production du compte-rendu annuel certifié par un commissaire aux comptes. La société People and Baby a demandé au tribunal administratif de Lyon l’annulation de ce titre exécutoire. Le tribunal a rejeté sa demande. La société interjette appel de ce jugement devant la Cour administrative d’appel de Lyon. Elle demande l’annulation du jugement, l’annulation du titre exécutoire et à titre subsidiaire, la réduction du montant du titre exécutoire.

La Cour administrative d’appel de Lyon confirme dans un premier temps la régularité du titre exécutoire, rejetant le moyen tiré de l’absence d’identification de son émetteur. 

Examinant dans un deuxième temps le bien-fondé de la pénalité contractuelle, la Cour poursuit en jugeant société concédante « ne peut être regardée comme ayant satisfait à ses obligations » et que la certification requise n'ayant toujours pas été apportée dans les délais prévus, « ce manquement devait être qualifié de non-production au sens de la convention et pouvait être sanctionné par une pénalité de 10 000 euros par semaine ». 

Enfin, dans un troisième temps, la Cour s’attarde sur la demande subsidiaire de modulation de la pénalité : c’est le cœur de la décision. La décision reprend le considérant de principe de la décision du Conseil d’État précitée de 2017, posant les critères devant être pris en compte par le juge pour la modulation des pénalités de retard. 

Elle juge ensuite que : « Si la société People and Baby fait valoir que ses démarches ont été rendues plus complexes par la crise sanitaire créée par la Covid-19 et que les comptes certifiés finalement communiqués après cette mise en demeure, le 31 mars 2021, se sont avérés identiques à ceux qui avaient été transmis à l'origine, de sorte que la faute commise apparaît comme étant de faible gravité, la pénalité appliquée, qui doit être appréciée au regard de la recette attendue pendant l'intégralité de la convention soit 1,9 millions d'euros, ne représente que moins de 5 % du total. Ainsi, elle ne peut être regardée, dans les circonstances de l'espèce, comme atteignant un montant manifestement excessif. ». En l’espèce, la pénalité contractuelle appliquée par le délégant est alors appréciée au regard de la recette attendue pendant l’intégralité de la convention de délégation de service public, selon les juges de la Cour administrative de Lyon. L’appel est alors rejeté. 

Il ne s’agit pas de la première décision utilisant le référentiel du pourcentage par rapport aux recettes attendues pendant l’intégralité de la convention, pour déterminer le caractère excessif ou non des pénalités.). Il a également pu être jugé que des pénalités, représentant 17,6 % du chiffre d’affaires résultant du contrat, "n’atteignent pas un montant manifestement excessif " (TA Nîmes, 4 mars 2022, n° 1903908, Sté Suez Eau France).

Ce qu'il faut retenir

1.
Le caractère excessif ou dérisoire d’une pénalité contractuelle peut être appréciée au regard de la recette attendue pendant l’intégralité de la convention de délégation de service public

À propos de l'auteur

Antoine Alonso Garcia

Inscrit au Barreau de Paris depuis 1999, j'ai créé ma propre structure en 2007.

J’interviens essentiellement dans la conduite de projets publics, tant pour les maîtres d’ouvrage publics (gestion de la passation et de l’exécution des contrats) que pour les entreprises (réponse à appels d’offres, gestion des litiges d’exécution). Cette pratique intensive des projets publics m’a naturellement amené à développer une compétence en matière en droit de la construction (publique et privée) et en droit des assurances.

Maître de conférences pour le cours de droit de l’Ecole des Ponts et Chaussées, j'anime aussi de nombreuses formations en droit de la commande publique et en droit de la responsabilité administrative.

J'ai obtenu en 2020 la mention de spécialisation en droit public

J'ai créé en 2023 le Cabinet CORAL Avocats.


Rechercher des articles dans la même thématique :