Par un arrêt du 14 novembre 2022, la Cour administrative d’appel de Marseille rappelle qu’en l’absence de réception prononcée par le maître d’ouvrage, celui-ci ne peut qu’engager la responsabilité contractuelle du constructeur, qui se prescrit par cinq ans à compter de la date de la connaissance des désordres affectant l’ouvrage.
Par principe, le prononcé de la réception par le maître d’ouvrage met fin aux relations contractuelles des marchés passés avec les entrepreneurs pour la réalisation de l’ouvrage (CE, sect., 6 avr. 2007, Centre hospitalier de Boulogne-sur-mer, n° 264490). En l’absence d’une telle réception, la garantie décennale des constructeurs ne peut être mise en jeu. Seule leur responsabilité contractuelle peut être engagée.
En l’espèce, la communauté d’agglomération de Bastia a conclu un marché de travaux portant sur la restructuration d’une piscine, divisé en 9 lots. La piscine a été mise en service sans que la réception des travaux des lots 8 et 9 n’ait été prononcée. Une expertise judiciaire a été prescrite pour décrire la nature et l’étendue des désordres affectant ces deux lots. Le rapport de l’expert a identifié quatre types de désordres. Par un jugement du 16 janvier 2020, le tribunal administratif de Bastia a rejeté les demandes de la communauté d’agglomération tendant à obtenir la condamnation solidaire des titulaires des lots non réceptionnés, ainsi que la condamnation solidaire des entreprises membres du groupement de maîtrise d’œuvre, en ce qu’elles étaient prescrites.
Pour confirmer la solution rendue, la Cour administrative d’appel de Marseille rappelle implicitement que la réception doit être prononcée, en principe, expressément par le maître d’ouvrage. Elle peut toutefois l’être tacitement dans les conditions fixées par l’article 41 du CCAG Travaux.
En application de ces dispositions, le titulaire peut provoquer la réception tacite des travaux :
- Soit en cas de carence du maître d'œuvre à fixer la date des opérations préalables à celle-ci ;
- Soit en cas de carence du maître de l'ouvrage à notifier la réception lorsque celle-ci a été proposée par le maître d'œuvre dans le procès-verbal dressé à la suite de ces opérations.
La jurisprudence a également admis qu’une réception tacite des travaux peut être déduite de la commune intention des parties (CE, 28 déc. 2001, n° 204245, Cie des signaux). La prise de possession effective de l’ouvrage n’est toutefois pas suffisante pour caractériser cette intention (CAA de DOUAI, 29 mai 2019, n°17DA01465).
En l’espèce, la CAA déduit du fait que le maître d’œuvre a relevé des malfaçons et des travaux à terminer lors de sa visite sur le lieu des travaux affectés des désordres, que celui-ci n’avait pas l’intention que soit prononcée la réception.
Par conséquent, en l’absence de réception des travaux, seule la responsabilité contractuelle des constructeurs peut être engagée.
En application de l’article 2224 du Code civil, l’action en responsabilité contractuelle exercée par le maître d’ouvrage se prescrit par cinq ans, « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».
Le point de départ de cette prescription court à compter de la date à laquelle la victime a une connaissance suffisamment certaine de l’étendue du dommage, et, comme le précise la CAA dans la présente décision, « au plus tard à la date de la remise du rapport d’expertise ».
À la date de la saisine du tribunal administratif, le 4 décembre 2017, l’action de la communauté d’agglomération était donc bien prescrite puisque le rapport d’expertise avait été remis en novembre 2011.
Le maître d’ouvrage doit donc être vigilent dans une situation qui se rencontre souvent. Un maître d’ouvrage qui a constaté des désordres avant réception, qui ne prononce pas la réception, qui prend possession de l’ouvrage, qui engage une expertise judiciaire qui dure souvent des années, doit engager la responsabilité contractuelle dans un délai de 5ans.