Par une décision du 23 février 2023, le Tribunal administratif de Limoges a jugé que la société classée première mais évincée irrégulièrement d’un marché pouvait être indemnisée de la charge financière résultant de la mise en chômage partiel de ses salariés.
En l’espèce, la société requérante a été évincée d’un marché public de construction, bien qu’elle ait été classée première à l’issue de la procédure d’attribution, au profit de la société classée seconde. Elle a saisi le Tribunal administratif de Limoges d’un recours indemnitaire tendant à condamner la communauté d’agglomération, acheteur, à lui verser la somme de 213 153,91 euros hors taxes, en réparation du préjudice subi en lien avec son éviction du marché.
Le tribunal fait droit à sa demande. Il juge que son éviction du marché était irrégulière, et condamne la communauté d’agglomération à lui verser la somme de 82 988,12 euros, compte tenu de la provision de 123 920 euros déjà versée.
Pour juger l’éviction irrégulière, le tribunal fait application dans un premier temps de la jurisprudence selon laquelle le pouvoir adjudicateur dispose d’une certaine liberté dans la définition de la méthode de notation des critères de choix. Toutefois, cette liberté est doublement limitée :
- Par le respect des principes d’égalité de traitement et de transparence de la procédure ;
- Par la nécessité que la méthode choisie ne prive pas, par elle-même, de portée les critères de sélection ou à neutraliser leur pondération, conduisant à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre pour un critère donné ou, à ce que, pour l’ensemble des critères, l’offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas retenue (CE, 3 nov. 2014, Commune de Belleville-sur-Loire, n°373362).
À titre d’illustration, les méthodes conduisant à déformer la pondération en neutralisant les écarts entre les offres, ou à écarter automatiquement les offres plus onéreuses alors qu’elles auraient eu les meilleures notes sur les autres critères , ont été jugées irrégulières (CE, 24 mai 2017, Ministre de la Défense, n°405787).
En l’espèce, la communauté d’agglomération a attribué le marché à la société classée deuxième en raison du caractère moins onéreux de son offre, alors même que l’offre de la société requérante, classée première, avait obtenu la note maximale s’agissant du critère technique, pondérée à 50%. Ce faisant, le juge administratif estime que la décision de l’acheteur a conduit à neutraliser les autres critères retenus et à écarter l’offre économiquement la plus avantageuse.
Par conséquent, la communauté d’agglomération a irrégulièrement évincé la société requérante et a manqué à ses obligations de concurrence.
Dans un deuxième temps, le tribunal administratif rappelle le cadre au sein duquel une société irrégulièrement évincée peut obtenir indemnisation de son préjudice (CE, 14 oct. 2019, Sté Les téléskis de la Croix Fry, n° 418317 ; CE, 28 févr. 2020, Sté Régal des Îles, n°426162) :
- Le lien de causalité entre la faute commise par le pouvoir adjudicateur et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction doit être direct ;
- L’offre formulée par la société évincée doit être régulière, à défaut elle n’a droit à aucune indemnité ;
- L’ampleur des préjudices indemnisables varie en fonction des chances de la société, en l’absence d’irrégularité, de remporter le contrat :
• En présence de faibles chances de l’emporter, la société a droit au remboursement des frais engagés pour présenter l’offre ;
• En présence de chances sérieuses de l’emporter, la société a droit à l’indemnisation de son manque à gagner, qui est déterminé en prenant en considération le bénéfice net que lui aurait procuré le marché.
En l’espèce, outre le préjudice tiré du manque à gagner, le tribunal administratif innove en jugeant que la société a été victime d’un préjudice subi du fait de la mise au chômage partiel de ses salariés deux mois après le rejet de son offre. Par conséquent, il condamne le pouvoir adjudicateur à verser à la société la somme correspondant à la charge qu’elle a dû supporter à ce titre.
Néanmoins, si l’une des parties interjette appel du jugement, il faudra veiller à vérifier que ce raisonnement est confirmé par la Cour administrative d’appel. En effet, le lien de causalité entre l’irrégularité commise par la communauté d’agglomération et la nécessité de recourir au chômage partiel est assez ténu et pourrait être remis en cause.