Appréciation du caractère excessif des pénalités de retard en cas de groupement solidaire

Conseil d'État, 12-04-2023, n°461576 , Société Art et Build Architectes

Par un arrêt du 12 avril 2023, le Conseil d’État apporte des précisions sur le montant du marché que doit prendre en compte le juge lorsqu’il est invité à moduler les pénalités de retard en cas de marché attribué à un groupement solidaire.

Les Hôpitaux civils de Colmar ont confié le marché de maîtrise d’œuvre de l’opération de construction d’un pôle « femme-mère-enfant » et d’un nouveau bâtiment médicotechnique à un groupement solidaire. Le marché a été résilié pour faute en raison des fautes commises par une seule société du groupement, la société mandataire. Cette société a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d’un recours en contestation de la validation de la résiliation.

En parallèle, les Hôpitaux civils de Colmar ont été mis en demeure de notifier le décompte de résiliation du marché. Sans réponse, cette société a demandé au maître de l’ouvrage de verser le solde du contrat résilié, par le biais d’un mémoire en réclamation. Cette demande n’ayant pas été satisfaite, celle-ci a porté sa contestation devant le tribunal administratif de céans. Après le rejet de ses requêtes tendant au paiement du solde du décompte de résiliation du marché en première instance et en appel, la société se pourvoit en cassation.

Dans un premier temps, le Conseil d’État s’emploie à apprécier la régularité de la résiliation. Pour ce faire, il rappelle qu’en cas de défaillance du titulaire du marché, l’acheteur peut prendre des mesures coercitives, même en l’absence de stipulations contractuelles l’y autorisant expressément, en concluant un marché de substitution, après mise en demeure et en procédant à la résiliation du marché en cas de faute d’une gravité suffisante.

En l’espèce, les Hôpitaux civils de Colmar reprochaient à la société requérante plusieurs manquements à ses obligations contractuelles au titre de sa mission « exécution et synthèse » et à ses obligations en matière de direction de l’exécution des contrats de travaux. En vertu des stipulations contractuelles, la mission confiée à la société impliquait nécessairement une adaptation de son organisation et de sa présence sur ce chantier. Pour le Conseil d’Etat, c’est donc à bon droit que la cour administrative d’appel de Nancy a considéré que l’ensemble des manquements contractuels de la société, notamment la faute commise dans l’exercice de sa mission « exécution et synthèse » étaient d’un degré de gravité suffisante pour justifier la résiliation du marché.

Il est intéressant de noter que le Conseil d’Etat confirme que, même en l’absence de clause contractuelle dans ce sens, le maître d’ouvrage peut, après mise en demeure, conclure un marché se substitution pour faire face à la défaillance d’un maître d’œuvre.

Dans un second temps, le Conseil apprécie le caractère excessif des pénalités. Après avoir rappelé les pouvoirs dévolus au juge pour apprécier l’éventuel caractère excessif des pénalités, le Conseil d’Etat apporte des précisions (très importantes) sur le calcul du montant des pénalités de retard en cas de marché conclu avec un groupement solidaire.

Ainsi, « Lorsqu'une convention, à laquelle le maître d'ouvrage est partie, fixe la part qui revient à chaque membre d'un groupement solidaire dans l'exécution d'une prestation, et lorsque le juge est saisi par l'un de ces membres de conclusions tendant à ce que soient modérées les pénalités mises à sa charge en raison des retards dans l'exécution de la part des prestations dont il avait la charge, il appartient au juge, pour apprécier leur caractère manifestement excessif eu égard au montant du marché, de prendre en compte la seule part de ce marché qui lui est attribuée en application de cette convention ». In fine, en cas de groupement solidaire, le calcul du montant des pénalités doit être basé sur la seule part de marché attribuée à la société défaillante, et non sur la totalité du montant des marchés.

Par suite, en prenant en compte la totalité du montant du marché pour calculer la part de marché que représentaient les pénalités infligées à la société et non la seule part de marché attribuée à cette dernière, la cour administrative d’appel de Nancy a commis une erreur de droit. 

Ce qu'il faut retenir

1.
Même en l’absence de clause contractuelle dans ce sens, le maître d’ouvrage peut, après mise en demeure, conclure un marché de substitution pour faire face à la défaillance d’un maître d’œuvre ; 
2.
En cas de groupement solidaire, le caractère manifestement excessif des pénalités doit être apprécié au regard de la seule part du marché attribuée au titulaire défaillant, et non la totalité du montant du marché. 

À propos de l'auteur

Antoine Alonso Garcia

Inscrit au Barreau de Paris depuis 1999, j'ai créé ma propre structure en 2007.

J’interviens essentiellement dans la conduite de projets publics, tant pour les maîtres d’ouvrage publics (gestion de la passation et de l’exécution des contrats) que pour les entreprises (réponse à appels d’offres, gestion des litiges d’exécution). Cette pratique intensive des projets publics m’a naturellement amené à développer une compétence en matière en droit de la construction (publique et privée) et en droit des assurances.

Maître de conférences pour le cours de droit de l’Ecole des Ponts et Chaussées, j'anime aussi de nombreuses formations en droit de la commande publique et en droit de la responsabilité administrative.

J'ai obtenu en 2020 la mention de spécialisation en droit public

J'ai créé en 2023 le Cabinet CORAL Avocats.


Rechercher des articles dans la même thématique :