Les marchés publics ne prévoient pas toujours explicitement que confronté à manquement contractuel grave du prestataire, l’acheteur peut avoir recours aux services d’un autre prestataire en concluant avec lui un marché de substitution. La conclusion de ce marché de substitution aux frais et risques du prestataire défaillant permet de débloquer la situation et d’assurer la poursuite du projet. Dans le silence du contrat, la cour administrative d’appel de Bordeaux rappelle que l’acheteur public dispose d’un pouvoir général de conclusion d’un marché de substitution. Toutefois, la conclusion d’un tel marché de substitution qui constitue une mesure coercitive devra être justifiée par l’existence de manquements contractuels graves imputables au prestataire.
Dans ce dossier, la commune de Monferran-Savès (département du Gers) avait attribué un marché de nettoyage de l’école, de la mairie, de la salle des fêtes et du « local jeune » à la société PLD Garonne pour une durée de douze mois renouvelables à compter du 1er octobre 2018. Mécontente de la qualité des prestations de la société, la commune lui a, par un courriel du 7 mai 2020, notifié la résiliation du marché. Contestant le bien-fondé de la mesure de résiliation, la société PLD Garonne a saisi le tribunal administratif de Pau afin d’obtenir la condamnation de la commune à lui verser la somme de 6.196,25 euros en réparation du manque à gagner subi. Le Tribunal administratif de Pau, par un jugement du 31 octobre 2023, tout en reconnaissant le caractère irrégulier de la mesure de résiliation, a refusé d’indemniser la société requérante en jugeant qu’elle ne rapportait pas la preuve de la réalité de ses préjudices. La société PLD Garonne relève appel de ce jugement.
La cour commence par rappeler que l’article 29 du CCAG – FCS de 2009 qui trouve à s’appliquer à ce marché ne prévoit pas explicitement la possibilité pour l’acheteur public en cas de défaillance du prestataire de conclure des marchés de substitution aux frais et risques de ce dernier. Cet article se contente, en effet, de manière générique de prévoir que l’acheteur peut mettre fin à l’exécution des prestations soit pour faute du titulaire soit pour motif d’intérêt général. Ce débat n’est plus réellement d’actualité concernant le CCAG – FCS puisque la dernière version de ce CCAG de 2021 a intégré un article 45 qui prévoit explicitement la possibilité pour l’acheteur de faire exécuter les prestations aux frais et risques du titulaire.
En tout état de cause, la cour devait donc se prononcer sur la possibilité, dans le silence du contrat, pour un acheteur de conclure un marché de substitution aux frais et risques du titulaire défaillant. Et, en reprenant un état jurisprudentiel bien établi, la cour va rappeler, sans surprise, que les « règles générales applicables aux contrats administratifs » offrent à l’acheteur public, dans le silence du contrat, la « faculté de faire exécuter les prestations aux frais et risques de son cocontractant par une entreprise tierce ». La cour poursuit son raisonnement de manière limpide en indiquant que « la conclusion de marchés de substitution, destinée à surmonter l'inertie, les manquements ou la mauvaise foi du cocontractant lorsqu'ils entravent l'exécution d'un marché, est possible même en l'absence de toute stipulation du contrat le prévoyant expressément, en raison de l'intérêt général qui s'attache à l'exécution des prestations. La mise en œuvre de cette mesure coercitive, qui peut porter sur une partie seulement des prestations objet du contrat et qui n'a pas pour effet de rompre le lien contractuel entre le pouvoir adjudicateur et son cocontractant, ne saurait être subordonnée à une résiliation préalable du contrat par l'acheteur public. La règle selon laquelle, même dans le silence du contrat, l'acheteur public peut recourir à des marchés de substitution aux frais et risques de son cocontractant revêt le caractère d'une règle d'ordre public ».
Une fois le principe affirmé, la cour va vérifier si, en l’espèce, le prestataire avait ou non commis des manquements d’une gravité suffisante pour justifier une exécution aux frais et risques. La cour va, ainsi, prendre acte que la commune n’a jamais reproché directement à la société requérante une insatisfaction sur la qualité de la prestation de nettoyage ou encore une insatisfaction relative à la suspension des prestations durant la période de Covid. Notamment « les dernières évaluations avant la suspension, en date des 30 janvier et 27 février 2020, reflétaient des prestations globalement conformes aux attentes, hormis quelques critiques mineures. ». La cour en arrive à la conclusion que les manquements reprochés à la société requérante ne sont pas établis et qu’elle a droit à l’indemnisation du manque à gagner subi. Sur ce point, la Cour précise que « le taux de marge nette de la société PLD Garonne a été évalué à 15,71 % par l’expert-comptable de la société, sans que les éléments de cette évaluation soient contestés par la commune de Monferran-Savès. Le montant du manque à gagner dont cette société a été privée pour les quatre mois et demi d’exécution du contrat restant à courir à la date de la résiliation, correspondant à une rémunération de 6 196,25 hors taxe, s’établit donc à 973,43 euros ».
Cette jurisprudence demeure d’actualité et pertinente dans les hypothèses dans lesquelles l’acheteur public ne fait pas référence explicitement aux CCAG. Dans tous ces contrats d’adhésion souvent proposés par les prestataires, l’acheteur peut donc, même dans le silence du contrat, faire appel à un tiers pour faire face à la défaillance avérée du titulaire.