Par un arrêt du 17 janvier 2023, la Cour administrative d’appel de Toulouse fait un rappel et une application des règles relatives à l’engagement de la responsabilité et aux actions en garantie des co-maîtres d’œuvres à une opération de construction.
En l’espèce, dans le cadre de l’édification de logements locatifs, l’office public de l’habitat de l’Aude a confié, par acte d’engagement du 9 mars 2007, la maîtrise d’œuvre du projet à un groupement conjoint composé de cinq prestataires, dont un cabinet d’architectes, mandataire du groupement, et une société économiste de la construction. Après levée des dernières réserves le 8 novembre 2010, ont été constatées des dégradations concernant la villa n°4 et causées par des infiltrations d’eau touchant la villa n°4.
L’OPH a saisi le Tribunal administratif de Montpellier d’une demande tendant à obtenir la condamnation du cabinet d’architectes et de l’économiste sur le fondement de la responsabilité contractuelle. Le tribunal a rejeté sa demande.
La CAA se prononce d’une part sur l’engagement de la responsabilité contractuelle du maître d’œuvre au titre de son obligation de conseil (I), et d’autre part sur les actions en garantie formées par les deux co-maîtres d’œuvre (II).
(I) S’agissant tout d’abord de l’engagement de la responsabilité contractuelle du maître d’œuvre, le juge administratif énonce que commet un manquement à son devoir de conseil de nature à engager sa responsabilité, le maître d’œuvre qui s’abstient d’informer le maître d’ouvrage des désordres, apparents ou non, affectant l’ouvrage lors de sa réception, et dont il a eu connaissance en accomplissant sa mission dans les règles de l’art (CE, 8 janv. 2020, n° 428280).
En l’espèce, la CAA constate que la maîtrise d’œuvre avait connaissance, avant la levée des réserves, du défaut d’étanchéité du mur mitoyen de la villa n°4. En n’informant pas le maître d’ouvrage de ce défaut et en proposant la levée des réserves alors que les travaux de reprise n’avaient pas été réalisés, elle a donc manqué à son devoir de conseil.
La maîtrise d’œuvre étant ici assurée par un groupement conjoint, la CAA rappelle qu’en principe, le juge se doit de prononcer la condamnation solidaire uniquement en cas de dommage imputable à plusieurs constructeurs.
En présence d’un groupement d’entreprises qui se sont engagées à réaliser conjointement et solidairement une opération de travaux envers le maître d’ouvrage, un membre peut échapper à l’engagement de sa responsabilité solidaire uniquement s’il résulte de la convention liant le groupement au maître d’ouvrage et de la répartition des tâches qu’elle prévoit que les désordres ne lui sont pas imputables (CE, 29 sept. 2010, Région Aquitaine, n°332068).
En l’absence de tableau de répartition des tâches, la responsabilité solidaire de l’ensemble des membres du groupement sera engagée (CE, 24 févr. 1993, SMAC ACIEROID, n°116352 ; CAA de Nantes, 22 avr. 2016, Sté Ivra et Ballet, n° 14NT00690).
À titre d’illustration, un contrat qui prévoirait uniquement une répartition géographique des travaux ou des modes de paiement variant entre les constructeurs ne permet pas à un membre du groupement de s’exonérer de sa responsabilité.
En l’espèce, l’acte d’engagement liant l’OPH de l’Aude et le groupement de maîtrise d’œuvre comporte, en annexe 1, un tableau de répartition de la rémunération qui prévoit une répartition des honoraires proportionnelle aux missions confiées à chacun des membres du groupement, et qui identifie précisément les titulaires de chaque élément de la mission de maîtrise d’œuvre. En vertu de ce document, la mission d’assistance lors des opérations de réception incombait uniquement au cabinet d’architectes et non à l’économiste.
De ce fait, la CAA, en se fondant sur la répartition des tâches prévue contractuellement entre les membres du groupement, juge que le manquement à son devoir de conseil, commis par la maîtrise d’œuvre lors de l’opération de réception de l’ouvrage, n’est imputable qu’au cabinet d’architectes.
(II) S’agissant ensuite des actions en garantie, fondées sur leur responsabilité quasi-délictuelle, formées entre co-maîtres d’œuvre, le juge administratif rappelle que ces derniers ne peuvent être solidairement condamnés à garantir l'un d'eux que si leur faute personnelle a concouru à la survenance d'un dommage commun.
Le juge doit rechercher, au regard du contrat de maîtrise d’œuvre conclu avec le maître d’ouvrage, si une faute est imputable à l’un ou l’autre des co-maîtres d’œuvre. En l’absence de tableau de répartition des tâches entre les maîtres d’œuvre, ceux-ci sont réputés être intervenus à tous les stades de la mission de maîtrise d’œuvre, et seront donc condamnés à indemniser à parts égales le préjudice subi par le maître d’ouvrage.
En l’espèce, la CAA constate, que les désordres litigieux touchant la villa n°4 sont imputables d’une part, au cabinet d’architecte au titre de sa mission complète de conception, de rédaction des pièces contractuelles des marchés de travaux, de suivi et de réception des travaux ; et d’autre part, à l’économiste au titre de sa mission de rédaction du cahier des charges du lot dédié au gros-œuvre.
Par conséquent, le juge estime que les fautes commises par les deux co-maîtres d’œuvre ont concouru à parts égales à la survenance des désordres. L’économiste est donc condamné à garantir le cabinet d’architectes à hauteur de la moitié de la condamnation mise à sa charge, pour manquement à son devoir de conseil.