L’indemnisation du manque à gagner d’un candidat évincé n’est possible que sur la période initiale de l’accord-cadre

CAA Versailles, 22-06-2023, n°20VE01206 , Société Divercities

Par une décision du 22 juin 2023, la cour administrative d’appel de Versailles a apporté des précisions sur les modalités d’indemnisation du manque à gagner dans le cadre d’un accord-cadre reconductible. Le candidat évincé d’une procédure de passation irrégulière ne peut être indemnisé que sur la période d’exécution initiale de l’accord-cadre, et non sur les périodes ultérieures de reconduction.

En l’espèce, l’office public Plaine Commune Habitat a lancé une procédure d’appel d’offres ouvert pour la passation d’un accord-cadre ayant pour objet l’assistance à maitrise d’ouvrage dans la mise en œuvre de l’agenda d’accessibilité programmée pour l’ensemble du patrimoine commercial de l’office. L’offre de la société Divercities a été rejetée au profit de celle présentée par la société Acceo.

Dès lors, la société évincée a formé un recours « Tarn-et-Garonne » devant le tribunal administratif de Montreuil tendant à obtenir l’annulation de l’accord-cadre et la condamnation de l’office public à lui verser la somme de 445 560 euros en réparation du manque à gagner subi. Après le rejet de sa requête, ladite société a interjeté appel devant la cour administrative d’appel de Versailles.

Il est de droit constant que tout tiers à un contrat, tel qu’un concurrent évincé, peut saisir le juge de plein contentieux en vue de contester la validité d’un contrat administratif dès lors qu’il est « susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation »

En pareil situation, il appartient au juge d’apprécier l’importance et les conséquences des vices entachant la validité du contrat ; ainsi que vérifier si ces derniers sont régularisables.

En l’espèce, le juge d’appel va, tout d’abord, écarter le moyen selon lequel le pouvoir adjudicateur a commis un manquement tiré de l’insuffisance de définitions de ses besoins. Pour ce faire, la Cour précise que « la circonstance que d’autres personnes publiques, ayant lancé des procédures en vue de passer des contrats ayant le même objet, aient mentionné, dans le dossier de consultation, la superficie des locaux, leur nature et la liste des établissements, n’est pas de nature à établir que les besoins auraient été définis de manière imprécise par le pouvoir adjudicateur dans la procédure en litige ».

Ensuite, la juge va vérifier si l’offre retenue est régulière, autrement dit, si elle respecte notamment les exigences imposées par les documents de consultation. Or, en l’espèce, au regard de leur mission, les candidats devaient réaliser des dossiers de demandes d’autorisation de travaux sur des locaux faisant l’objet d’une programmation de mise en conformité au titre de l’Ad’Ap. Le dossier de consultation imposait aux sociétés candidates d’élaborer un dossier projet comprenant notamment les plans des existants en totalité. Or, l’offre présentée par la société Acceo - société attributaire - n’incluait pas la réalisation de ces plans. Cette prestation n’était envisagée que dans le cadre de prestations supplémentaires.

Dès le juge d’appel en arrive à la conclusion que l’offre déposée par la société attributaire est irrégulière en ce qu’elle ne respecte pas les exigences formulées par le dossier de consultation. L’office public a donc méconnu les exigences de l’article 59 du décret du 25 mars 2006 en attribuant le contrat à la société Acceo. Dès lors, la procédure d’attribution est irrégulière.

Il appartient, dès lors, au juge de statuer sur les modalités d’indemnisation de la société requérante, en vérifiant si la société évincée avait des chances sérieuses d’emporter le marché. Si tel est le cas, elle est en droit à être indemnisée de son manque à gagner.

En l’espèce, l’offre de la société Divercities était en 2ème position. Au regard des notes obtenues, tant sur la valeur technique (40/40) que sur le critère prix (30,92/60), celle-ci avait donc des chances sérieuses d’emporter le contrat. Au titre de l’indemnisation de son manque à gagner, ladite société réclamait une somme de 445 560 euros correspondant à la totalité des prestations qu’elle aurait réalisées sur la durée totale du marché, soit 4 ans. La période d’exécution initiale de l’accord-cadre était de douze mois, renouvelable trois fois.

Or, en cas d’accord-cadre, la cour précise que « Dans le cas où le marché est susceptible de faire l’objet d’une ou de plusieurs reconductions si le pouvoir adjudicateur ne s’y oppose pas, le manque à gagner ne revêt un caractère certain qu’en tant qu’il porte sur la période d’exécution initiale du contrat, et non sur les périodes ultérieures qui ne peuvent résulter que d’éventuelles reconductions ».

Ainsi, le manque à gagner susceptible de donner lieu à indemnisation ne pouvait revêtir le caractère certain que pour la période initiale, soit un an. Le juge réévalue donc le montant du préjudice subi en précisant que : « Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation du manque à gagner subi par la société irrégulièrement évincée sur une année en l’évaluant sur le fondement d’un taux de marge nette de 15 %, tenant compte de la spécificité des prestations objet du marché, appliqué à une année de commandes, soit 75 000 euros selon le montant prévisionnel figurant sur l’acte d’engagement, soit à la somme de 11 250 euros ». 

Ce qu'il faut retenir

1.
L’indemnisation du manque à gagner d’un candidat évincé n’est possible que sur la période initiale de l’accord-cadre, et non sur les périodes ultérieures qui ne peuvent résulter que d’éventuelles reconductions. 

À propos de l'auteur

Antoine Alonso Garcia

Inscrit au Barreau de Paris depuis 1999, j'ai créé ma propre structure en 2007.

J’interviens essentiellement dans la conduite de projets publics, tant pour les maîtres d’ouvrage publics (gestion de la passation et de l’exécution des contrats) que pour les entreprises (réponse à appels d’offres, gestion des litiges d’exécution). Cette pratique intensive des projets publics m’a naturellement amené à développer une compétence en matière en droit de la construction (publique et privée) et en droit des assurances.

Maître de conférences pour le cours de droit de l’Ecole des Ponts et Chaussées, j'anime aussi de nombreuses formations en droit de la commande publique et en droit de la responsabilité administrative.

J'ai obtenu en 2020 la mention de spécialisation en droit public

J'ai créé en 2023 le Cabinet CORAL Avocats.


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